RDC : Tshisekedi et 2023 (Décryptage)

A moins de six cent jours de l’élection présidentielle de 2023, Félix Tshisekedi accumule à la fois actions et critiques. Et face à lui, des défis qui s’amoncellent : sécurité, développement, diplomatie, gouvernance et élections.

Le temps passe vite pour le président Félix Tshisekedi. Si sa bonne foi n’est plus à démontrer, son énergie dépensée pour la nation étant visible, la situation sociopolitique doublée de la pandémie à coronavirus sont bien loin de lui faciliter la tâche. La majeure partie des congolais crient misère et mais les crises multiformes se dressent toujours devant lui. Tshisekedi ne semble pas jusque-là prendre la mesure de son avenir, insistent plusieurs observateurs congolais. Le président ressemble à un pilote abandonné à la cabine, sans co-pilote attentionné et sans assistants techniques soucieux de son sort. Il s’appuie principalement sur le gouvernement, une machine grippée qui demande d’être très vite rénovée pour être remise en course. Le chef du gouvernement se démène, avec sa bonne volonté qui ne suffit pas. Il faudra un peu plus qu’une volonté pour stabiliser l’équipage et tous les voyageurs à bord. La gouvernance échappe totalement aux gouvernés. Chaque ministre défend ses projets au Conseil sans vraiment tenir compte du qu’en dira-t-on et de qu’est-ce que chaque programme concrétisera réellement pour susciter des adhésions populaires. Seuls les médias qui couvrent les différentes cérémonies inaugurales peuvent en faire des résumés illustrés. Les fonctionnaires de l’État viennent d’apprendre avec satisfaction l’annonce d’une augmentation. Là encore, le gouvernement est très attendu sur le concret régulier. Les enseignants du primaire et du secondaire (syndicats) discutent chaque saison avec leur tutelle ministérielle autour du barème salarial. Tantôt ça se calme, tantôt ça reprend. Le poisson chinchard, le carburant, les zones économiques spéciales, le cours des mines, les catastrophes environnementales, la gabegie, les affrontements ethniques, etc. Plusieurs dossiers s’enlisent. Le Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde est un homme réaliste. Il a reconnu qu’il y a encore du chemin à parcourir.

Les promesses

Le président est un homme engagé. Déterminé et persévérant. Depuis sa prise des fonctions, il n’a cessé de montrer la voie, en tirant verbalement les oreilles de ses collaborateurs. D’ambitieux programmes lancés dans la plus grande solennité… Le transport ferroviaire devenu opérationnel entre Lubumbashi et les provinces du Kasaï jusqu’à Ilebo, des routes en construction notamment dans quelques communes de Kinshasa et dans le Kasaï (projet Tshilejelu), des balises installées sur le fleuve Congo entre Kinshasa et Kisangani… .D’autres chantiers se comptent en provinces et dans quelques territoires. Mais par rapport aux projets phares lancés de la main du chef de l’État, les promesses font polémique. Félix Tshisekedi est très attendu sur des réalisations et des chantiers à impact direct sur le vécu quotidien de la population. Là, les signaux ne sont pas clairs. Beaucoup de Congolais exigent plus, mais la moisson est maigre. La gratuité de l’enseignement est une réussite dans quelques coins de la République pas totalement sur l’ensemble du territoire. Les syndicats du secteur le dénoncent à longueur de journée. La concrétisation du projet de la couverture santé universelle se fait toujours attendre.

Le bilan

Entre les actions en cours de réalisation et les projets annoncés, un grand pas reste à franchir. Surtout que certains actes posés par le régime ont tendance à annihiler les quelques efforts palpablement défendables devant la population. Cas de plusieurs mises en place dans certaines institutions d’intérêt politique comme la Cour constitutionnelle, la commission électorale nationale indépendante (CENI), la composition des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les échos ressentis de ces différentes nominations ont été suffisamment critiques contre Félix Tshisekedi en personne. Ce qui fait croire que le président n’a rien fait pour n’avoir entendu les voix discordantes sur certaines questions sensibles. Autre faiblesse qui va sûrement coller au bilan présidentiel, c’est la grande vague de détournements de deniers publics. Certes l’Inspection générale des finances (IGF) est à l’ouvrage pour décourager les vieilles habitudes, mais le triomphalisme de certains proches du président conforte la critique et affaiblit l’image de marque du chef de l’État. Au nombre de personnalités jugées intouchables figurent les grands dignitaires de l’UDPS qui résistent aux accusations de la clameur publique. L’ancien ministre de la santé Eteni Longondo passe pour un exemple d’échec de la lutte contre les antivaleurs ou encore l’ex-chef de la lutte contre la corruption, Dieudonné Lobo arrêté puis relâché. Dans ce registre, il y a lieu d’évoquer aussi la colère des combattants de l’UDPS à l’annonce de la libération conditionnelle de Vital Kamerhe.

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L’autre dossier qui affecte négativement la réputation du chef de l’État est sans doute le dossier RAM, cette taxe sur le Registre des appareils mobiles tant dénoncée par l’opposition. Officiellement, cette taxe a été suspendue depuis le 1er mars 2022. La base de données y afférente devrait être actualisée et les paramètres réinitialisés, avait annoncé Kibassa Maliba, le ministre des Postes et télécommunications, très proche de Félix Tshisekedi.

Le front électoral

L’investiture très polémique de l’expert électoral, Denis Kadima Kazadi aura sérieusement empoisonné la réputation du garant du bon fonctionnement des institutions. Le président Tshisekedi était très attendu sur une possible remise en cause de cette candidature fortement contestée par la majeure partie de la société civile congolaise. Mais la décision présidentielle sera tranchante, en investissant le candidat contre l’avis des Églises catholique et protestante. Cet acte considéré comme une consécration de l’irrégularité aux yeux de certains démocrates, n’a épargné l’image du chef de l’État. En dépit des manœuvres entendues ci et là, l’actuelle équipe de la CENI souffre toujours d’une crise de crédibilité. Dans ce bourbier, s’y est ajoutée une dénonciation du ministre des Finances sur une tentative de détournement de fonds par Denis Kadima. Une crise semble-t-il arrondie entre Nicolas Kazadi et Denis Kadima mais dont les effets ont sérieusement affecté le prestige du régime. Ce chapitre des élections focalisera davantage toutes les attentions tant que toutes les parties prenantes au processus n’auront pas été convaincues de l’indépendance effective de la CENI et de la qualité des personnalités qui animent l’institution. Le FCC et Lamuka exigent à cor et à cri le changement de l’équipe Kadima pour se rassurer de l’indépendance de la CENI. Ensemble pour la République de Moïse Katumbi et le Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba l’ont clairement signifié à la mission d’évaluation des Nations unies qu’a conduite monsieur Simon-Pierre Nanitalamio, chef adjoint de la division électorale des Nations unies venu de New-York. Ce dossier sensible appelle à un consensus national pour des élections stables, crédibles et apaisées en République démocratique du Congo.

Kamerhe à quel poste d’ici 2023 ?

Faut-il faire de lui directeur de campagne, Premier ministre ou directeur de cabinet à l’horizon 2023 ? L’ancien directeur de cabinet de Félix Tshisekedi est un « passe-partout », capable de faire tourner n’importe quel département. Tout dépendra de l’axe prioritaire du patron. A peine sorti de prison, Vital Kamerhe attend assurément le dernier round du procès qui l’oppose au ministère public sur l’affaire des détournements dans le projet dit de « 100 jours ». Dans les salons politiques de Kinshasa, Kamerhe est déjà pressenti élevé en dignité. Peut-être pour la primature, peut-être comme directeur de campagne de Félix Tshisekedi aux prochaines élections générales. D’autres n’excluent pas de le voir rediriger le cabinet présidentiel où se comptent quelques insuffisances de coordination. Kamerhe remplit plusieurs atouts politiques, diplomatiques et géopolitiques. C’est ce qui fait dire à l’UNC (Union pour la nation congolaise), parti politique de Vital Kamerhe qu’il est possible que son leader lève le doigt pour se représenter à l’élection présidentielle de 2023.

La brouille Katanga-Kasaï

Déterminant pour la stabilité de la côte de popularité de Félix Tshisekedi, la gestion en cours du conflit entre Katangais et Kasaiens est un exercice d’ultime importance dans le contexte politique du moment. Notables, élus nationaux et provinciaux de deux régions du pays ainsi que des officiels de différents niveaux de la République se sont retrouvés a Lubumbashi pour passer au crible les différends politiques et sociaux qui opposent les deux peuples. Si cette question n’est pas définitivement réglée, le régime pourrait ne pas manquer d’en porter une part de responsabilité dans l’opinion publique. Ce qui affectera terriblement la réputation du régime UDPS.

Le bourbier de l’Est

Pour honorer sa promesse de campagne, Félix Tshisekedi s’était délocalisé à Goma en octobre 2020. Séjour qui l’avait conduit jusqu’à Beni, proche de la ligne de front des forces armées (FARDC) avec les groupes terroristes ADF et à Bunia aux contacts de toute la notabilité locale. Tshisekedi a approché les pays voisins en l’occurrence l’Ouganda avant que le Rwanda ne s’invite à l’audience huit mois après, en juin 2021. Plusieurs accords seront conclus avec le Rwanda, l’Ouganda et même plus tard, avec le Burundi. Spécialement avec Kigalii, trois accords commerciaux seront signés à Goma, en terre congolaise, et ce, plus d’un mois après l’éruption du volcan Nyiragongo. Pour la première fois, Paul Kagame foulera le sol de Goma. L’un des accords conclus avec Kigali portait sur l’exploitation de l’or impliquant la société congolaise aurifère SAKIMA SA ainsi que la société rwandaise DITHER LTD. Tous ces efforts ne suffiront pas à éviter une nouvelle incursion armée sur le sol congolais par des anciens rebelles du M23 très protégés par Kigali. Même l’état de siège instauré dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri commence à susciter des questionnements quant à son efficacité. Il s’ajoute à ce portrait de l’Est, la situation qui dégénère sur les hauts plateaux d’Uvira vers Itombwe. Les consultations de Nairobi, si elles n’actionnent aucun cessez-le-feu, alimenteront la rude critique contre le pouvoir de Tshisekedi.

Où est l’UDPS ?

Critiquée pour ses méthodes plutôt efficaces dans l’exercice de la pression populaire, l’UDPS (parti présidentiel) peine toujours à se mettre résolument en ordre de bataille. Après une longue campagne d’implantation conduite par son secrétaire général, Augustin Kabuya, le parti fait face à lui-même. Plusieurs contradictions internes, guerre de positionnements et fuite des cerveaux vers des institutions plus juteuses. Alors que la base comptait sur les intelligences telles que Peter Kazadi, Paul Tshilumbu ou encore le professeur Tshilumbayi, force est de constater que la plupart se sont positionnés politiquement laissant le parti entre les mains de Kabund. Depuis l’éviction et l’exclusion de ce dernier, tout semble à refaire. L’imbroglio constaté lors de différentes mises en place, tantôt boudées à la base, tantôt contestées ou encore cette dernière querelle autour des candidatures à l’élection des gouverneurs font craindre une certaine impréparation du parti présidentiel à soutenir efficacement son champion Félix Tshisekedi à la glissante course pour la présidentielle de 2023. Heureusement qu’il existe plusieurs forces politiques et sociales engagées dans le même objectif en appui au président candidat à sa propre succession.

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