En réclamant un audit de l’ensemble des finances des ministères depuis l’investiture de Félix Tshisekedi, le numéro 2 de l’Agence nationale de renseignements (ANR), Jean-Hervé Mbelu Biosha, a provoqué un séisme politico-judiciaire qui secoue la présidence congolaise.
S’attendait-il à ce que la déflagration soit aussi forte ? La missive que Jean-Hervé Mbelu Biosha a adressée le 17 août à l’Inspection générale des finances (IGF) réclamant à l’institution de mener un audit de tous les décaissements des fonds du Trésor public depuis l’investiture du président Félix Tshisekedi, a, quoiqu’il en soit, provoqué un séisme qui bouscule fortement l’exécutif. Entre stratégies contradictoires, règlements de comptes et lutte intestine au sein d’une équipe rapprochée de la présidence – composée de proches de l’actuel président et de ceux de Vital Kamerhe, son directeur de cabinet -, les répliques de ce tremblement de terre politique ne semblent pas vouloir se calmer.
Kamerhe dénonce un « complot mal monté »
Nommé administrateur adjoint de la très redoutée Agence nationale de renseignements (ANR) en mars dernier, Jean-Hervé Mbelu Biosha a invoqué « des raisons impérieuses de sécurité d’État » lorsqu’il a décidé de saisir l’IGF, un peu plus de deux semaines après le rapport du 31 juillet pointant le détournement présumé de 15 millions de dollars dans le cadre de la gestion opaque de la somme destinée à compenser les sociétés pétrolières à la suite du gel des prix à la pompe en 2017.
Selon les inspecteurs des finances, cette somme aurait dû être transférée dans les caisses de l’État, au terme d’une opération de remboursement de créance de 100 millions de dollars émise par le Trésor public et destinée aux sociétés pétrolières.
Dans sa lettre datée du 17 août, le numéro 2 de l’ANR a fixé quatre missions aux inspecteurs des finances : auditer l’ensemble des décaissements des fonds du Trésor public en faveur des ministères depuis l’investiture de Félix Tshisekedi ; saisir tous les bons de retrait de fonds émis par le gouvernement depuis janvier 2019 ; exiger de ces différents ministères tous les dossiers initiés par leurs services pour sortir ces fonds et, enfin, dresser des rapports circonstanciés sur l’ensemble de leurs constatations.
Vital Kamerhe, qui a réclamé la suspension de cet audit, parle de « rébellion administrative », et, dans l’entretien qu’il a accordé à Jeune Afrique – publié dans notre édition de ce dimanche 8 septembre -, affirme que « si l’ANR avait besoin d’éclaircissements, elle aurait dû les demander au ministère des Finances ou du Budget. L’IGF dépend de la présidence et l’ANR n’avait rien à lui demander à notre insu. » Et le directeur de cabinet de Félix Tshisekedi de considérer que l’affaire des 15 millions de dollars – qu’il qualifie d’« opération régulière » – « se résume à un petit complot inutile et mal monté ».
Une initiative personnelle ?
Le mardi 20 août, lorsque Jeune Afrique entre en contact avec le patron de l’ANR, Justin Inzun Kakiak, pour le faire réagir sur la lettre de saisine de l’IGF rédigée en son nom mais signée de la main de son numéro 2, celui-ci semble ne pas avoir été prévenu de l’initiative. Il faudra plus de deux heures au patron de l’Agence de renseignements pour « vérifier auprès de [son] adjoint qui a signé le document ». Justin Inzun Kakiak finira par authentifier le document d’un très laconique : « Il [Jean-Hervé Mbelu Biosha] ne l’a pas démenti ». Sans plus de commentaire.
Dix jours plus tard, l’affaire prend une nouvelle tournure, quand deux inspecteurs des finances chargés de mener ces audits sont interpellés « pour des faits de droit commun », assure alors le général Sylvano Kasongo, chef de la police de Kinshasa. L’un d’eux a été auditionné par les services de François Beya, conseiller spécial du chef de l’État en matière de sécurité. Un autre inspecteur des finances, entendu au commissariat provincial de Kinshasa, a affirmé pour sa part avoir été interrogé au sujet d’un CD-ROM, reçu au ministère du Budget dans le cadre des enquêtes en cours. Selon une source au sein de ce ministère, les données contenues sur le disque en question seraient « compromettantes pour les nouvelles autorités ».
Pourquoi avoir réclamé un audit des dépenses des ministères depuis l’investiture de Félix Tshisekedi, alors même que la première décision du chef de l’État avait été de tout centraliser au niveau de la présidence ? Comment expliquer que ni la présidence, ni même le patron des renseignements, n’aient été préalablement informés de la saisine de l’IGF ? Contacté par Jeune Afrique, Jean-Hervé Mbelu Biosha se refuse tout commentaire.
Un silence qui ne manque pas d’alimenter rumeurs et tensions au sein du cabinet de la présidence congolaise, où Vital Kamerhe soupçonne certains conseillers de vouloir sa tête, qu’ils soient proches de Félix Tshisekedi ou même membre de l’Union pour la nation congolaise, son propre parti. « Kamerhe dérange », concède un conseiller proche de Tshisekedi, qui souligne que, le puissant directeur de cabinet du président « est toujours perçu par certains comme un adversaire politique », malgré l’accord conclu en 2018 au Kenya avec l’actuel président congolais.
L’appel de Tshisekedi à des « changements de mentalités »
L’affaire devrait en tout cas connaître de nouveaux développements. Dimanche 8 septembre, l’IGF avait prévu d’organiser une conférence de presse sur le sujet, finalement annulée « pour des questions de coordination avec la hiérarchie ». Hasard du calendrier ou opération de communication opportune, les services de la présidence congolaise ont par ailleurs diffusé le même jour un clip sur la chaîne publique dans lequel Félix Tshisekedi appelle à des « changements de mentalités ».
« À ceux qui sont responsables de la gestion des affaires publiques, le premier signe visible du changement sera celui de votre comportement, de votre compétence dans la gestion de la mission qui vous est confiée par le peuple congolais », déclare notamment le président congolais dans cette vidéo diffusée sur les antennes de la chaîne publique RTNC et largement relayée sur les réseaux sociaux.
Jean-Hervé Mbelu Biosha, homme des services, de Kabila à Tshisekedi
Originaire du Kasaï, Jean-Hervé Mbelu Biosha avait été nommé numéro 2 de l’ANR par Félix Tshisekedi, le 19 mars dernier. Le président congolais s’était alors notamment reposé sur François Beya, son conseiller spécial en matière de sécurité, chargé alors de réorganiser l’appareil sécuritaire et de désigner de nouveaux responsables à la tête des différentes institutions.
Réputé comme pour son professionnalisme et sa discrétion, Jean-Hervé Mbelu Biosha a gravi les échelons de l’ANR un à un, commençant comme simple agent des renseignements avant de devenir inspecteur principal, puis directeur provincial de l’ANR dans la ville de Kinshasa.
Élevé au grade d’administrateur, il est ensuite devenu conseiller au sein des cabinets de plusieurs administrateurs généraux des renseignements. Celui qui, en 2002, a participé pour le compte de la société civile au dialogue de Sun-City, en Afrique du Sud, a ensuite été nommé vice-gouverneur de Kinshasa. Ancien député du Parti de l’alliance nationale pour l’unité (Panu), il fut également Secrétaire général de ce parti, membre de l’Alliance de la majorité présidentielle soutenant alors Joseph Kabila.
Des questions laissées en suspens et qui interrogent d’autant plus qu’au niveau même de la présidence, certains conseillers proches de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et de Félix Tshisekedi sont soupçonnés de vouloir la tête de Vital Kamerhe.
Selon un proche de Tshisekedi qui a requis l’anonymat, Vital Kamerhe « dérange ». Et d’ajouter que, le président national de l’Union pour la Nation congolaise est toujours perçu par certains comme un » adversaire politique », malgré l’accord conclu en 2018 au Kenya avec Félix Tshisekedi.
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