RDC : la résurgence de la rébellion du M23 dans l’est du pays provoque des crispations jusqu’à Kigali

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L’armée congolaise accuse le Rwanda de soutenir le Mouvement du 23 mars après des affrontements avec ces rebelles qui ont pourtant déposé les armes en 2013.

Par Coralie Pierret (Bukavu, correspondance)

Le 01 avril 2022 à 19h00, mis à jour à 10h34.Lecture 5 min.

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Des rebelles du M23 à Bunagana, dans l’est de la République démocratique du Congo, en septembre 2013. KENNY KATOMBE / REUTERS
A peine 48 heures ont suffi pour qu’une partie du territoire de Rutshuru, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), se vide de ses habitants. Au moins 45 000 personnes ont abandonné à la hâte leurs villages, selon une note du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et de l’ONG Intersos publiée mercredi 30 mars.
Lundi 28 mars, les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) ont attaqué des positions de l’armée congolaise dans les montagnes situées aux confins du Rwanda et de l’Ouganda, à près de 2 000 mètres d’altitude, vers les collines de Chanzu. Alors que les combats se poursuivaient, huit casques bleus sont morts mardi 29 mars dans le crash d’un hélicoptère des Nations unies, en mission de reconnaissance dans la zone.

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« Cette situation provoque la panique et réveille d’anciens traumatismes », s’inquiète Placide Nzilamba, secrétaire de la société civile de la province du Nord-Kivu, un regroupement d’associations citoyennes basé à Goma. Cette capitale provinciale était tombée entre les mains du M23 en novembre 2012. Quelques jours plus tard, le Mouvement, formé par d’anciens rebelles essentiellement tutsi, s’était finalement retranché dans son fief, autour de Chanzu, avant de déposer les armes en novembre 2013 et de fuir vers le Rwanda et l’Ouganda.
Pourtant, les combats entre le M23 et les forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont bel et bien repris depuis novembre 2021. Au moins neuf accrochages ont été recensés par le baromètre sécuritaire du Kivu. Mais pour la première fois depuis le retour des affrontements, l’armée congolaise accuse le Rwanda de soutenir la rébellion et même de participer aux opérations que mène le M23.

Des liens entre le Rwanda et le M23

Le 28 mars, le général Sylvain Ekenge Bomusa, porte-parole du gouvernorat militaire du Nord-Kivu, a dévoilé en conférence de presse l’identité, le matricule et le bataillon de deux individus, présentés comme des soldats rwandais. « Un adjudant et un soldat de rang capturés sur le champ de bataille », a-t-il précisé devant les caméras. Une accusation portée par l’armée congolaise depuis Goma qui contraste avec le discours plus policé des diplomates à Kinshasa.
A 2 500 kilomètres à l’ouest, les chancelleries et ministères affirment négocier pour « le retour de la paix ». Le ministre des affaires étrangères, Christophe Lutundula Apala, a évoqué le 29 mars, au côté de Vincent Karega, l’ambassadeur rwandais installé dans la capitale congolaise, « une mission de vérification et de restauration de la confiance ». A cette occasion, l’ambassadeur a tenu à rappeler que son pays « ne soutient ni politiquement ni militairement le M23 ».

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Sur la même ligne, le Mouvement du 23 mars dénonce une « manipulation » des FARDC. « Nos revendications sont simples, explique le major Willy Ngoma, porte-parole du M23. Kinshasa doit respecter ses engagements », notamment concernant le retour des combattants en RDC, comme le prévoyait la feuille de route élaborée par le gouvernement avec les ex-rebelles. « Mais dès lors que vous vous opposez aux autorités centrales, on vous traite d’envahisseur ou d’étranger rwandais », s’exaspère-t-il.
Les liens entre Kigali et le M23 ont pourtant été établis en 2012 par les enquêteurs de l’ONU. Le Mouvement est né d’une mutinerie des cadres militaires du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Cette ancienne rébellion de l’est de la RDC a été menée de 2007 à 2009 par Laurent Nkunda, un général congolais tutsi qui s’était engagé aux côtés du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994.

Relations dégradées entre Kigali et Kinshasa

Aujourd’hui, il n’y a aucune preuve d’un appui du Rwanda au M23. Toutefois, selon le chercheur Onesphore Sematumba, spécialiste de la région des Grands Lacs à l’International Crisis Group (ICG), « un groupe armé ne peut pas vivre adossé aux frontières de deux Etats étrangers et prétendre être autonome comme s’il était sur une île ».
La RDC est au cœur d’une guerre d’influence qui oppose le Rwanda et l’Ouganda depuis plus de vingt ans. Après son élection en 2019, le président congolais, Félix Tshisekedi s’est d’abord rapproché de son homologue rwandais Paul Kagame. La coopération, notamment en matière de renseignement, s’est renforcée entre les deux pays.

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Mais les relations entre Kigali et Kinshasa se sont nettement dégradées depuis le lancement, le 30 novembre, d’une opération militaire conjointe entre Congolais et Ougandais. Le président Yoweri Museveni a obtenu de Kinshasa que son armée, les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF), entre dans l’est de la RDC pour lutter contre les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé d’origine ougandaise.
Ce coup de force du rival de Paul Kagame passe mal à Kigali. Le 8 février, dans un discours ambigu, le chef de l’Etat rwandais a mis en garde ses voisins en affirmant qu’il était prêt à agir seul en cas de menace. « Nous ne laisserons pas la guerre venir jusqu’à nous. Nous sommes un petit pays. Nous nous battrons là où la guerre a commencé », a déclaré le président devant son Parlement. Il n’a pas non plus fait le déplacement jusqu’à Kinshasa, le 24 février, à l’occasion de la réunion du mécanisme régional de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba, signé en février 2013 pour tenter de mettre fin à la violence endémique dans la zone.

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Malgré tout, les relations diplomatiques entre Kigali et Kinshasa ont toujours été maintenues. Paul Kagame
a d’ailleurs félicité « ses frères et sœurs » du Congo après leur entrée dans la Communauté d’Afrique de l’Est, le 29 mars, au moment où l’armée congolaise affrontait le M23 à Bunagana, ville frontalière entre la RDC et l’Ouganda. Plusieurs vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des soldats ougandais prêtant main-forte aux FARDC pour repousser les assauts du groupe armé.
Est-ce le retour de ces guerres par procuration où chaque pays soutient les ennemis de son voisin ? Dans les collines de Chanzu, l’ancienne place forte du M23, une accalmie précaire règne depuis le cessez-le-feu unilatéral annoncé par le groupe dans la soirée du 1er avril. Les premiers habitants ont commencé à revenir dans leur village.

Coralie Pierret (Bukavu, correspondance)

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