Page d’histoire : Comment et pourquoi le MLC a perdu les Gouvernorats de Kinshasa et du Kongo-central en 2007

32 candidats à l’élection présidentielle de 2006

  1. A l’issue d’une période de transition politique de 3 ans et conformément à l’Accord Global et Inclusif de Sun-city (Afrique du Sud), les premières élections libres et démocratiques sont organisées en RDC depuis celles de 1965. Le 30 juillet 2006 a lieu l’élection présidentielle où 32 candidats retenus par la CENI sont en compétition. Les élections législatives ont lieu le même jour.
    Sur les 25.420.000 électeurs enrôlés, 3 candidats seulement sur les 32 vont franchir la barre du million de voix obtenues au premier tour. Il s’agit de Joseph Kabila (7.590.485) ; Jean-Pierre Bemba (3.392.592) et Antoine Gizenga (2.211. 280) Nzanga Mobutu s’en sortira avec 808.398 voix, suivi d’Oscar Kashala (585.480), Azarias Ruberwa (285.641), Pierre Pay-Pay (267.749), Vincent de Paul Lunda Bululu (237.257) et de Joseph Olengankoy (102.318). Les 24 autres candidats présidents ont moins de 100.000 voix chacun.

Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba au second tour

  1. Puisqu’aucun candidat président de la République n’a obtenu la majorité absolue des voix au premier tour (50% +1), un second tour sera donc organisé en vue de départager les deux premiers. En l’occurrence Joseph Kabila (44%) et Jean-Pierre (20%). Ces deux candidats sont obligés de négocier des alliances avec les candidats malheureux pour espérer bénéficier du report des voix en leur faveur que ces candidats ont obtenues au premier tour. c’est ainsi que Joseph Kabila va signer un accord avec Antoine Gizenga (3e) et Nzanga Mobutu (4e).

L’accord Joseph Kabila – Antoine Gizenga

L’Accord entre Joseph Kabila et Antoine Gizenga portait sur le fait que, en échange de l’appel d’Antoine Gizenga à voter Kabila au second tour, Kabila s’engageait à donner la Primature au Palu (Parti Lumumbiste Unifié, Parti de Gizenga) pendant la durée de son mandat (5 ans). Accord qui sera scrupuleusement respecté à travers la nomination d’Antoine Gizenga (30 décembre 2006 – 10 octobre 2008), Adolphe Muzito (10 octobre 2008 – 06 mars 2012) comme 1er ministre.

Jean-Pierre Bemba coalise avec les autres candidats malheureux

Jean-Pierre Bemba, de son côté, va bénéficier du soutien de la grande majorité des 30 candidats malheureux. Malheureusement pour le MLC, ces alliés n’apportaient pas grand-chose dans leurs paniers. Par exemple : Diomi Ndongala (85.897 soit 0,51%) ; Roger Lumbala (75.644 soit 0,45%) ; Justine Mpoyo Kasa-Vubu (75.065 soit 0,44%) ; Catherine Nzuzi Wa Mbombo (65. 188 soit 0,28%), Gérard Kamanda wa Kamanda (52.084 soit 0,31%)

Joseph Kabila remporte le second tour

  1. Le second tour de l’élection présidentielle est organisé le 29 octobre 2006 ; couplée avec les élections législatives provinciales. Le 15 novembre 2006, la CENI proclame Joseph Kabila candidat victorieux avec 9.436.779 voix soit 58, 05% et Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux avec 6.819.822 voix soit 41,95%. Le MLC conteste ces résultats et introduit un recours à la Cour Suprême de Justice. Le 27 novembre 2006, la Cour Suprême rejette le recours de Jean-Pierre Bemba, confirme les résultats de la CENI et proclame Joseph Kabila Président de la République. Jean-Pierre Bemba prend acte de la décision de la Cour Suprême et décide de faire de l’opposition républicaine. La grande moisson du MLC aux élections provinciales
  2. Comme les élections des députés provinciaux ont eu lieu le même jour que le second tour de l’élection présidentielle, les candidats députés provinciaux du MLC et ses alliés vont bénéficier de la popularité de Jean-Pierre Bemba dans les provinces qui lui sont acquises. C’est le cas notamment de l’Equateur (ancienne configuration), du Kongo-Central et de la ville province de Kinshasa. Dans la capitale de la RDC, le MLC remporte la moitié des sièges en jeu, soit 22 sur 44. En application de la loi électorale, 4 députés provinciaux vont être cooptés parmi les chefs coutumiers ; ce qui fera qu’en définitive l’assemblée provinciale de Kinshasa comptera 48 députés provinciaux. Le MLC restera toujours le 1er parti politique institutionnelle, et de loin, de Kinshasa. Il le prouvera encore en raflant 4 sièges de sénateurs de la Ville de Kinshasa sur les 8. Le MLC attribuera ces sièges à Jean-Pierre Bemba, Eve Bazaiba, Nkoy Mafuta et Romain Nimy.

L’accord MLC – ABAKO

  1. Le gouverneur de Kinshasa, comme ceux des provinces, doit être élu par l’assemblée provinciale. Pour espérer avoir la majorité absolue des voix (25/48) nécessaire à l’élection du gouverneur de Kinshasa, le MLC a besoin d’un apport de 3 voix seulement pour ajouter à ses 22 voix. C’est dans cette optique que le MLC passe un accord avec un parti allié, l’ABAKO (Alliance des Bâtisseurs du Kongo) de François Kimasi qui, justement, a 3 députés provinciaux à Kinshasa.

Le MLC est très à l’aise dans cet accord avec l’ABAKO pour deux raisons. Premièrement, François Kimasi, le président de l’ABAKO, est un ancien sénateur coopté du MLC pendant la Transition (2003 – 2006). Deuxièmement, les demandes de l’ABAKO, en contrepartie de son soutien au MLC, sont raisonnables : un poste de vice-gouverneur et deux places au bureau de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, qui en compte cinq.

L’accord est étendu au Kongo-Central

  1. Satisfait de l’accord de Kinshasa, l’honorable François Kimasi propose au MLC d’étendre cet accord à la province du Kongo-Central où lui-même est élu député provincial et où le MLC et ses autres alliés ont des députés dans l’assemblée provinciale. Au Kongo-central, Kimasi propose que le MLC et ses alliés soutiennent sa candidature comme président de l’assemblée provinciale et, en échange, il soutiendra le ticket proposé par le MLC au gouvernorat de la province. Le MLC accepte l’accord.

Le MLC prend le contrôle du bureau de l’assemblée provinciale de Kinshasa

Dans l’application de cet accord MLC – ABAKO, Roger Nsingi Mbemba (élu de la commune de Lingwala et proche de Thomas Luhaka, n°3 du MLC) candidat du MLC, est élu président de l’Assemblée Provinciale de Kinshasa avec 26 voix, en battant Laurent Batumona du RCD, qui a obtenu 18 voix. Daniel Botheti (MLC) devient vice-président avec 25 voix contre 22 pour Jacqueline Mbuyi du PPRD. Henri Itoka (MLC) est élu rapporteur avec 34 voix contre Martin Kasongo de l’ABAKO qui a récolté 14 voix ; Emilie Matshoko (MLC), rapporteur adjoint avec 28 contre 20 pour Christian Dunia du PPRD ; Davin Luyeye (ABAKO) est élu questeur avec 28 voix contre 20 voix pour Prosper Kale du PPRD.

La victoire rend aveugle

  1. Plongés dans l’euphorie de cette victoire écrasante du MLC au bureau de l’assemblée provinciale de Kinshasa (4 postes sur 5), les leaders de ce parti n’ont pas vu les signaux inquiétants contenus dans cette victoire. Premier indice : tous les candidats du PPRD ont perdu avec au moins 20 voix (Jacqueline Mbuyi 23, Christian Dunia 20, Prosper Kale 20) alors que le PPRD n’a que 8 députés provinciaux au sein de l’assemblée provinciale. Cela voulait dire que le PPRD avait une plus grande capacité de captation de voix extérieures que le MLC. Cet indice aurait pu permettre au MLC d’ajuster sa stratégie.

Le deuxième indice est l’humiliation du candidat allié Martin Kasongo de l’ABAKO qui a obtenu seulement 14 voix face à Henri Itoka du MLC qui, lui, a eu 34 voix alors que l’accord MLC-ABAKO réservait 2 postes au bureau à l’ABAKO et 3 au MLC.
Le troisième indice : le fait même qu’un candidat du MLC, Henri Itoka, ait gagné avec autant de voix (34) était inquiétant. Cela voulait dire que les députés-électeurs pouvaient ajuster leurs choix en tenant compte de la personnalité du candidat et non seulement des engagements partisans (pouvoir-opposition). C’est ce qui va arriver lors de l’élection du gouverneur de Kinshasa.

Kisombe kiaku Muisi, victorieux mais mécontent

  1. Au kongo-central, les choses vont se passer correctement. François Kimasi va être élu président de l’assemblée provinciale et Augustin Kisombe Kiaku Muisi 1er vice-président grâce à l’accord avec le regroupement MLC et alliés appelé Union pour la Nation. Mais Kisombe Kiaku Muisi est très amère, malgré sa victoire. Parce qu’il considère que ses ambitions n’ont pas été traitées avec la considération liée à sa stature. D’abord, il a souhaité être le candidat gouverneur du Kongo –Central de l’Union pour la Nation ; il a été éconduit. Ensuite, il voulait devenir le président de l’assemblée provinciale et c’est François Kimasi qui lui a été préféré.
    Il a encaissé le coup, même s’il a eu la vice-présidence comme lot de consolation.
    Un ancien animateur d’une Radio Communautaire, « Radio Ntemo », de Mbanza-Ngungu, qui a été très bien élu, se retrouve aussi au bureau de l’assemblée provinciale comme rapporteur-adjoint. Il s’appelle Atou Matubuana Nkuluki.

Une petite erreur politique sans conséquence

  1. Puisque les bureaux des assemblées provinciales sont installés, on doit procéder maintenant à l’élection des gouverneurs.
    Au kongo-Central, le MLC, pour le compte de l’Union pour la Nation, présente un ticket composé de Fuka Unzola (MLC), candidat gouverneur et Ne Mwanda Nsemi (Congo Pax), candidat vice-gouverneur. Mais ce ticket du MLC comporte déjà en soi une erreur géopolitique. Les deux candidats présentés sont originaires du même district du Kongo-Central, les cataractes. Alors qu’à l’époque (2007), le Kongo-central était la seule province mono-ethnique de la RDC. Par conséquent le partage du pouvoir devrait absolument tenir compte des équilibres entre les 3 districts de la province : la Lukaya, les Cataractes et le Bas-fleuve. Dans ces conditions, présenter une liste des candidats Gouverneur et Vice-Gouverneur ressortissants du même district était une erreur politique. Mais cette petite erreur sera, cette fois, sans conséquence vu les personnalités des candidats en lice.

Le ticket du pouvoir

  1. Du côté du pouvoir, on aligne le ticket Simon-Floribert Mbatshi Mbatsha (proche du PPRD, ressortissant du Bas-fleuve) candidat gouverneur et Deo Nkusu (RCD, ressortissant des cataractes) candidat vice-gouverneur. Ici, la géopolitique provinciale est scrupuleusement respectée d’autant plus que le président de l’assemblée provinciale (François Kimasi) vient de la Lukaya.

Kisombe lache l’Union pour la Nation

Le MLC perd le gouvernorat du Kongo-Central
Le jour de l’élection, le ticket du pouvoir (Majorité Présidentielle) va l’emporter à 15 voix contre 14. Le MLC et alliés vont perdre à cause d’un seul député qui a préféré voter le ticket Mbatshi Mbatshi – Deo Nkusu au lieu du ticket Fuka Unzola – Ne Mwanda Nsemi. C’est Augustin Kisombe Kiaku Muisi. Au-delà de son amertume, la raison qui pousse Kisombe à basculer dans le camp adverse est simple : il déteste Ne-Mwanda Nsemi. Il le considère comme un illuminé dangereux.

Ne-Muanda Nsemi promet de se venger

Ne Mwanda Nsemi va vivre très mal son échec, qu’il mettra sur le dos de François Kimasi et, surtout, de Kisombe. Il va leur promettre de se venger, d’une manière ou d’une autre, en activant de forces visibles et invisibles. Effectivement, ces deux personnalités Ne-Kongo ne vont pas terminer leurs mandats. Augustin Kisombe Kiaku Muisi va décéder le 22 juillet 2007 et François Kimasi le 28 janvier 2012. Malédiction du grand maitre Ne-Mwanda Nsemi ? Simple coïncidence ?
C’est ainsi que, au mois de janvier 2007, Mbatshi Mbatsha et Deo Nkusu deviennent respectivement le 1er gouverneur et le 1er vice-gouverneur de la province du Kongo-central de la 3ème République.

Yves Kisombe venge son père et est exclu du MLC

Mais cette question de la responsabilité réelle ou imaginaire de Mwanda Nsemi dans le décès de Kisombe Kiaku Mwuisi va avoir une répercussion au sein même du MLC. Puisque, à l’occasion d’une question orale avec débat adressée au ministre de l’Intérieur, Denis Kalume Numbi, au mois de mars 2008, l’honorable Yves Kisombe, député national du MLC et fils du défunt Kisombe Kiaku Muisi, va s’en prendre véhément, en plénière de l’assemblée nationale, avec son esprit républicain et son nationalisme avéré, aux agissements de l’honorable Ne-Mwanda Nsemi et de son organisation politico-mystico-religieux Bundu-Dia-Kongo (BDK). Ces derniers, en effet, se sont lancés dans une contestation violente de l’autorité de l’Etat au Kongo-Central. La réaction vigoureuse du gouvernement causera beaucoup des dégâts dans les rangs du BDK. En s’attaquant à un allié du MLC, en soutenant le gouvernement et en félicitant les forces de l’ordre pour le rétablissement de l’autorité de l’Etat au Kongo-Central, Yves Kisombe va se mettre en porte à faux avec le président du MLC, Jean-Pierre Bemba. Ce dernier va demander et obtenir son exclusion du parti.

Le MLC viole l’accord avec l’ABAKO

  1. A Kinshasa, alors qu’il était le mieux positionné pour remporter l’élection du gouverneur de la capitale, le MLC va perdre face au PPRD. Le rapport des forces lui était pourtant favorable : MLC 22 députés provinciaux sur les 48 ; PPRD 8.

Le MLC va perdre à la suite d’une erreur simple mais que beaucoup des politiciens congolais commettent de manière récurrente : la boulimie du pouvoir, l’envie de toujours gagner plus, au risque même de tout perdre.
Dans ce cas précis du MLC, ceci se manifeste au moment du dépôt des candidatures au gouvernorat au mois de février 2007. En effet, le MLC va déposer une liste comportant exclusivement les noms de ses cadres en violation flagrante de l’accord passé avec l’ABAKO. On se souvient que cet accord prévoyait de réserver le poste de vice-gouverneur de Kinshasa à l’ABAKO, le MLC prenant le poste de titulaire.

Un ticket monocolore

Malgré le rappel de l’ABAKO, le MLC persiste et confirme les noms de ses deux candidats : Adam Bombole, le Président du MLC/Kinshasa et député national le mieux élu de la ville, candidat gouverneur et Fidèle Babala, député national élu de la Tshangu, candidat vice-gouverneur.
C’est à l’occasion du dépôt de sa candidature comme gouverneur de la ville de Kinshasa qu’Adam Bombole va nommer, comme son directeur de campagne, un jeune et brillant cadre du MLC, qui revenait fraichement de ses études de Belgique, et qui va connaitre par la suite, une fulgurante ascension jusqu’à devenir ministre national de l’industrie : Germain Kambinga.

Le MLC tente de rassurer l’ABAKO

  1. Le MLC tente de rassurer l’ABAKO en lui promettant des postes ministériels dans le futur gouvernement provincial. Pour François Kimasi, président de l’ABAKO, le mal est fait : Jean-Pierre Bemba et le MLC ont tué l’accord. Désormais, il se considérait libre de tout engagement.

André Kimbuta crée la surprise

Un outsider, cadre du PPRD, va se lancer dans la bataille pour le gouvernorat de Kinshasa avec le soutien de Vital Kamerhe, le tout puissant président de l’assemblée nationale et très proche collaborateur du président Joseph Kabila. Ce cadre du PPRD va exploiter les frustrations de l’ABAKO en y associant un travail au corps méthodique et assidu auprès de député provinciaux. Il s’appelle André Kimbuta Yango. Le jour du vote, il va créer la surprise, en battant la liste d’Adam Bombole par 26 voix contre 22. 22 est exactement le nombre de députés provinciaux du MLC à Kinshasa. Cela veut dire que tous les alliés du MLC ont voté André Kimbuta, candidat du PPRD, en commençant par les 3 élus de l’ABAKO et Martin Fayulu, député provincial indépendant mais très proche du MLC ; car ami de longue date de Fidèle Babala.

A suivre !

24h.cd

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