La douleur demeure encore vive dans la famille Nzazi, une année après que le mortel accident a arraché la mère de six enfants à l’affection de ses proches. Difficile consolation donc pour toutes les familles des victimes (23 femmes et 2 hommes) où moment où il faut célébrer le premier triste anniversaire du drame de Matadi Kibala.
L’État a oublié ses promesses. Jusqu’à ce jour, aucune indemnisation, vocifère Jonh Nzazi, frère d’une victime qui était commerçante et mère de 5 enfants (4 garçons et une fille). Même pas de la part de la SNEL dont le câble à haute tension s’était détaché du pylône pour causer d’énormes dégâts humains.
Des révélations poignantes sur la SNEL
Les enfants des victimes sont laissés à leur triste sort. En haut lieu, personne n’en parle. En dehors des opérations de charme le jour du drame où différents cortèges des dirigeants s’étaient rendus sur le lieu, plus rien depuis lors, hormis les 5000 dollars que Ngobila avait remis à chaque famille éplorée pour organiser le deuil au niveau familial.
[…] Après les obsèques, nous, nous étions organisés en une structure pour ne pas nous disperser afin de mieux faire le suivi auprès des dirigeants de la SNEL en rapport avec l’indemnisation des familles des victimes[…] Malgré la promesse du gouverneur de la ville de Kinshasa, les familles ne sont pas encore indemnisées, a-t-il témoigné.
Et d’ajouter, “la SNEL nous a dit qu’il ne va pas dédommager les personnes décédées à l’intérieur du couloir du marché parce que les câbles électriques étaient installés là avant même le marché. Les autorités de cette entreprise disent ne reconnaître que quatre (4) personnes qui ont péri sur la chaussée”. À défaut des indemnisations, M. Nzazi exhorte les autorités du pays à bien vouloir s’occuper des orphelins de leur sœur, surtout de leurs études pour garantir et sécuriser leur avenir.
Les mêmes propos sont repris par une autre famille, celle de la jeune fille décédée lors de cette tragédie (diplômée d’État). La sœur aînée de la défunte a raconté que le choc est encore là, et d’ailleurs, ils n’ont pas fêté durant les festivités de fin d’année, pensant toujours à Esther Mambuku, qui voulait déjà entamer ses études universitaires l’an dernier. Commerçante de son état, c’est en sortant pour s’approvisionner en produits vivriers qu’elle avait connu cet accident.
Sa mère, toujours sous émotion, n’était pas bavarde devant les reporters d’Ouragan.cd. Baissant la tête, elle a fondu en larmes jusqu’à sortir une petite phrase : “Papa journaliste, je pleure. Les larmes coulent toujours depuis la disparition de ma fille, très intelligente. Une grande perte”. Les blessures graves d’un cœur meurtri.
Le funeste événement
Le 02 février 2022, les blessés du petit marché informel de la banlieue sud-ouest de Kinshasa étaient évacués vers l’hôpital général. Des visages crispés d’autres vendeurs à la sauvette traduisaient la peur. Eux qui courent dans la zone à la recherche des clients. Heureusement, la chute du câble avait eu lieu aux premières heures, sinon le bilan aurait pu être très lourd.
Le marché de la tragédie est de retour
Ce jour-la, une vingtaine de personnes avaient perdu la vie. Les enquêteurs, dont les conclusions n’ont jamais été rendues publiques, s’étaient limités à dire le premier jour que “le sectionnement du câble à haute tension par la foudre dans le petit marché pirate de Matadi Kibala était à la base de l’accident. À la va-vite, le gouvernement avait annoncé la fermeture de tous les marchés pirates ainsi que de parkings des environs. Question de décongestionner une voie toujours embouteillée”. La pagaille sur cette route qui mène vers la ville portuaire n’émeut personne. Sur le long de cette artère, les produits alimentaires sont étalés à même le sol. Les vendeurs s’en foutent totalement des règles d’hygiène. Conséquence, ils rétrécissent la chaussée. L’une des causes d’ailleurs de nombreux accidents.
Depuis la catastrophe, rien n’a changé donc. Tout est revenu comme avant. Tous les marchés pirates fonctionnent normalement. Les parkings délocalisés vers l’arrêt du camp PM sont revenus à leur endroit habituel. Même cas pour le parking des taxis de Kasangulu. L’irresponsabilité des dirigeants étonne. “C’était juste du folklore le jour de l’accident avec les décisions cosmétiques, rien n’a été fait et rien ne fait. Aucun suivi, le petit marché est toujours là, les parkings aussi. Pourtant, les autorités avaient annoncé la fermeture de tout ça”, se désole le responsable d’un dépôt situé non loin du lieu où avait eu l’horrible accident.
Les pylônes de la SNEL envahis
Dans un communiqué publié quelques heures après le drame, la Société nationale d’électricité (SNEL) annonçait que, lors de la pluie qui s’est abattue sur la ville de Kinshasa, “une foudre a sectionné un conducteur de phase sous-tension, lequel est tombé sur le marché Matadi Kibala se situant dans la servitude des lignes de transport de la SNEL”. Les experts expliquent que là où se trouve la ligne “haute tension” (lieu où s’est déroulé l’accident), un axe de 25 mètres a été prévu de part et d’autre, sous lequel il est interdit de faire des activités. Hélas, la population n’a pas respecté la mesure faute de sensibilisation.
Et pourtant, précisent-ils, les gens ne peuvent pas être en dessous des lignes haute tension, car les risques sont énormes et en permanence. Le problème des constructions qui jouxtent les pylônes électriques à travers le pays reste entier.
À la Société nationale d’électricité, on indique que le vrai problème, ce sont les constructions anarchiques. “Nous avons environ 9 200 kilomètres de lignes où nous avons des envahissements de nos plateformes”, avait expliqué à RFI, Thierry Kapesa Lukule, le directeur du département de Transport de la SNEL. “Si l’autorité arrive à faire respecter la loi qui définit la servitude en deux fois 25 mètres de part et d’autre de l’axe d’une haute tension où on ne peut pas avoir une activité humaine, ce genre de drames, on en parlera plus en RDC”.
La SNEL constate, impuissante, que plusieurs ouvrages ont été érigés le long de ces lignes électriques. La société assure avoir saisi la justice à de nombreuses reprises, en vain, car les occupants disposent de titres légaux.
Plus de 40% des constructions sur des zones faisant l’objet de restrictions
Démolir ces constructions est une mesure impopulaire, mais nécessaire, a soutenu la députée Solange Masumbuko, de la coalition au pouvoir. « On ne peut pas compter sur la bonne foi d’une population pauvre. La plupart de ces femmes qui se sont retrouvées à Matadi Kibala, dans ce marché pirate, n’avaient même pas plus de 20 dollars comme capital, souligne-t-elle. C’est très compliqué, mais l’État doit prendre des mesures non négociables. La responsabilité des titres fonciers incombe au ministre de l’Aménagement et de l’Urbanisme.»
Au moins 40% des constructions de la capitale sont érigées sur des sites faisant l’objet de restrictions, d’après le gouverneur Gentiny Ngobila. La conséquence de plusieurs décennies de complaisance et de corruption des agents publics . « La difficulté que nous avons est que pendant très longtemps, nous n’avons pas pris de décisions. Pendant très longtemps, ce qui était anormal est devenu normal », avait déploré le jour du drame, le ministre de la Communication et des Médias, Patrick Muyaya, s’exprimant devant la presse.
Le grand entrepôt promis, une chimère ?
Le gouverneur de la ville de Kinshasa, Gentiny Ngobila avait lancé le 02 septembre 2022, les travaux de construction d’un marché moderne à Matadi-Kibala dans la commune de Mont Ngafula.
Selon l’autorité urbaine, ce marché allait répondre aux standards internationaux, une valeur ajoutée pour ses administrés. À la même occasion, l’autorité municipale avait sollicité la construction de deux autres marchés pour couvrir l’ensemble de sa juridiction. Aujourd’hui, sur le site, aucune trace des travaux. Encore une fois, c’est une promesse non tenue de la gouvernance Tshisekedi.
Le Projet d’appui aux pôles d’approvisionnement de Kinshasa (PAPAKIN) pilote le projet. Le marché devra, une fois les travaux terminés, desservir 1.300 vendeurs qui, à l’heure actuelle, sont exposés aux intempéries, à l’insalubrité et aux accidents de circulation à cause de la proximité de leur marché de la route nationale numéro 1.
Il est prévu la construction des étalages, deux galeries marchandes, des entrepôts, des chambres froides, des échoppes modernes notamment pour la vente des légumes bio, un bâtiment administratif, des blocs sanitaires, des points d’eau, un parking et différents aménagements dont le coût total des travaux s’élève à 5.044.631 USD qui seront réalisés par les entreprises Sokerico, Dematco et SBM trading pour une durée de six mois avec un moratoire de deux mois. Quant au financement, il provient du fonds international pour le développement de l’agriculture (FIDA).