Un peu plus de trois ans après la révision du code minier en République démocratique du Congo et la perception de la redevance minière par les autorités provinciales du Haut-Katanga, on peut toujours s’interroger à qui profite cette manne financière, tant les informations sur sa gestion semblent être totalement frappées du sceau du secret. Malgré le lancement de plusieurs chantiers dans la ville de Lubumbashi, la capitale provinciale, et dans d’autres villes par le gouvernement provincial, la cartographie des projets de développement durable uniquement financés par les fonds des 25 % la redevance minière perçus par la province pose problème: « tu peux aller voir le Directeur de cabinet (…du gouverneur) ou le Ministre provincial des infrastructures (…) », nous répond, par exemple Me Gisèle Ngungwa, Directeur assistant en charge de la fiscalité du Gouverneur Jacques Kyabula ou encore sa conseillère en communication. Jusqu’au moment où nous avions bouclé cette enquête, personne au sein de l’exécutif provincial n’était à mesure de nous réserver une réponse claire et précise sur l’affectation des millions de dollars perçus par la province dans le cadre de la redevance minière payée par l’ensemble des opérateurs miniers assujettis (titulaires des droits miniers d’exploitation des carrières et entités de traitement) de la province. De nombreux rapports et témoignages établissent que les fonds perçus ne sont pas toujours affectés à ce à quoi ils étaient légalement destinés, c’est-à-dire le financement des projets d’intérêt communautaire.
Au terme de l’article 242 de la Loi n°18/001 du 09 mars 2018 modifiant et complétant la Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier en RDC, « 25 % des fonds issus de la redevance sont versés sur un compte désigné par l’Administration de la province où se trouve le projet ». Cette redevance vise à lutter contre la pauvreté, à améliorer les conditions socioéconomiques des populations et de son environnement. Les bénéficiaires de la redevance minière sont les communautés locales et les autorités qui gèrent à leur bénéfice. Il s’agit d’une sorte de compensation allouée à celui ou ceux qui sont considérés comme propriétaire des terres sur lesquelles sont extraits les minerais.
Le constat sur terrain montre que l’affectation de la redevance minière et d’autres revenus du secteur minier collectés par la Province du Haut-Katanga ne cadre pas, dans la majorité des cas, avec les objectifs leurs assignés par les textes qui les créent. A ce sujet, on peut également citer la taxe provinciale d’intervention en matière de réhabilitation des infrastructures urbaines de voirie et drainage ainsi que la taxe incitative à la création des unités locales de transformation des concentrés instituées respectivement par les Édits n°0001 du 23 mai 2008 et n°003 du 16 novembre 2010.. Pour Jean Pierre Muteba, ancien porte-parole du cadre de concertation de la société civile du Katanga : « Dans l’esprit de ces deux Edits, ces taxes avaient pour objectif de doter la province des moyens de sa politique pour le développement des infrastructures de base et ainsi combler le manque à gagner de la non application de la retenue de 40% à la base des recettes à caractère national, au profit du Pouvoir central ». Selon ce cadre et ancien délégué de la société civile au sein du comité ITIE/RDC, la gestion de tous ces flux soulève actuellement plusieurs préoccupations en termes de transparence et de gouvernance.
Opacité dans la gestion
Les pratiques développées par les autorités du Haut-Katanga constituent un frein au développement des communautés impactées chaque jour par la pollution de l‘environnement, les maladies pulmonaires, la destruction des maisons et tant d’autres dégâts au sein de la communauté à cause de l’exploitation minière et sans compter les camions remorqueurs qui détruisent les infrastructures routières en transportant de lourdes charges de minerais. En effet, selon les chiffres officiels, la redevance minière a rapporté plus de 226,8 millions de dollars américains à la province du Haut-Katanga pour deux années cumulées de 2018 à 2019, ainsi que le premier trimestre de l’année 2020. Des chiffres non concordants avec ceux dévoilés par le consortium Makuta ya Congo dans un rapport publié au mois de novembre 2020 (lire : La redevance minière destinée aux entités territoriales décentralisées : Un casse-tête à résoudre), et qui indique que la Province aurait perçu plus de 286 millions de dollars de la redevance minière entre 2018 à 2019.
Des écarts déclaratifs qui, selon cette plateforme de la société civile, devraient être justifiés par les autorités provinciales. Car, ces nouveaux chiffres ont été déclarés par le responsable de la Direction provinciale des recettes du Haut-Katanga au comité de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et publiés dans son Rapport assoupli exercices 2018, 2019 et premier trimestre 2020 en mars 2021. Le rapport indique même que cette redevance a été payée par 38 entreprises minières installées dans cette province. Lors de l’ouverture de l’atelier d’amélioration du rapport sus-évoqué, le vice-Gouverneur du Haut-Katanga, Jean Claude Kamfwa avait déclaré que c’était la première fois que les fonds de la redevance minière faisaient l’objet d’une déclaration à l’ITIE et la Province du Haut-Katanga a également déclaré les 25% et les autres revenus perçus dans le Secteur minier ».
Pour la majorité des habitants de Lubumbashi interrogés : « le gouvernement provincial couvre la mauvaise affectation de 25% de la redevance minière derrière les quelques projets à impact rapide développés ça et là par les communes de Lubumbashi bénéficiaires de leur quotité de 15% sur la redevance minière (…) ». Ces mêmes habitants s’interrogent également sur l’affectation judicieuse et responsable de ces flux, notamment avec l’absence des grands chantiers de construction dans la ville et sur l’étendue de la Province notamment les chantiers écoles, hôpitaux et autres infrastructures d’utilité publique. Il en est de même du Protocole d’accord signé en juin 2019 entre la Province du Haut-Katanga et les Entités territoriales décentralisées relatif à la création de la caisse de solidarité et à la clé de répartition de la quote-part de la redevance minière entre ces entités. Un protocole dénoncé par l’Organisation non gouvernementale Cordaid qui reproche aux autorités provinciales la récupération d’une partie des fonds de 15% de la redevance minière dévolue aux ETD (rapport d’évaluation du code minier révisé RDC juin 2020). Et selon les conclusions de ce rapport, qui évaluait la mise en application du code minier révisé en 2018 deux ans après sa promulgation, le Haut-Katanga serait l’un des mauvais élèves sur les 7 Provinces minières concernées par cette évaluation.
Selon un agent de la Division provinciale des infrastructures et travaux publics qui a préféré garder l’anonymat : « les grands chantiers ouverts dans la Province notamment la construction du nouveau bâtiment de l’assemblée provinciale, l’aérogare et le centre de santé de Kisanga, quoique financés en partie, sont à l’arrêt faute de financement depuis plusieurs mois maintenant et les autres travaux de réhabilitation des grandes artères de la ville de Lubumbashi notamment les avenues Kasavubu, Lumumba, des Sports et la chaussée de Kasenga ont été déjà préfinancés grâce aux fonds perçus aux péages à caractère provincial et des taxes sur la voirie et des concentrées », explique-t-il.
« Le Gouvernement Provincial du Haut-Katanga a signé des contrats de Nantissement avec certaines entreprises qui récupèrent leur investissement à partir de la banque, ce qui ne facilite pas une certaine traçabilité et le suivi efficace de l’exécution de certains chantiers », dénonce une source au ministère provincial des Finances. Information confirmée par le cabinet du Gouverneur de province. Une autre source au sein du ministère des infrastructures, toujours sous couvert d’anonymat regrette le fait que ‘’les termes de l’accord de préfinancement entre la Province du Haut-Katanga et les entreprises qui s’étaient engagées à faire ces préfinances n’aient jamais été divulgués pour comprendre quel était l’engagement de la Province en contrepartie de ces préfinancements, permettant ainsi de faire un suivi conséquent par rapport à ces engagements’’.
Unicité budgétaire : l’arbre qui cache la forêt…
L’analyse des budgets de la province du Haut-Katanga pour les exercices 2018 et 2019 démontre que la redevance minière a largement contribué aux recettes provinciales. Cependant, ces fonds n’ont pas été exclusivement affectés aux infrastructures socio-économiques de base comme l’exige la loi minière. Des sources concordantes au sein du cabinet du Gouverneur de province et du ministère provincial des finances affirment que ces fonds ont servi à combler d’autres dépenses notamment les charges politiques et administratives de la province, en violation de l’arrêté du ministre national des Mines portant mesure d’encadrement de ces revenus. Des informations corroborés par nos propres entretiens réalisés avec certains membres du cabinet de l’exécutif provincial, des agents des services des infrastructures et finances de la province du Haut-Katanga qui estiment qu’il est difficile de soutenir avec précision que tous les flux perçus au titre de 25 % de la redevance minière étaient directement affectés au financement des travaux de la voirie ou des infrastructures routières. Et d’ajouter que sans la redevance minière, le gouvernement provincial du Haut Katanga serait déjà en faillite.
Selon D.K., qui travaille au cabinet du Ministre provincial des finances : « le principe d’unicité budgétaire veut que toutes les recettes perçues par la province puissent entrer dans un seul panier où elles constituent une seule enveloppe. L’affectation se fait selon les priorités de la province définies lors de l’élaboration du budget ». Pour ce haut-cadre de la province, les taxes et les impôts sont regroupés dans la même caisse sans distinction des sources de provenance. Il est donc difficile de distinguer les affectations eu égard aux priorités de la province et par la même occasion difficile de retracer ces affectations. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’affectation des revenus générés par la perception de la redevance minière ne respecte pas la destination pour laquelle cette redevance a été instituée. Ce qui, aux yeux de certains, s’apparente à un acte de détournement. L’écrasante majorité des acteurs de la société civile estiment non sans raison que les fonds de la redevance minière ne doivent pas être mis dans la caisse générale de la province, car préaffectés par le législateur au financement exclusif des infrastructures d’intérêt communautaire.
Pour illustration, les tenants de la thèse du détournement citent l’exemple du protocole d’accord signé entre le gouvernement provincial et l’entreprise minière SOMIKA pour la réhabilitation du pont affaissé sur la route Kipushi et dont le financement devait provenir des fonds perçus sur la redevance due à la commune annexe de Lubumbashi ainsi que celle due à la chefferie Kaponda, sans oublier le cahier de charge que l’entreprise SOMIKA doit exécuter en faveur des communautés impactées par son exploitation, tel que prévu par la loi. Face au refus catégorique du Grand chef de la grande communauté Lamba du Haut-Katanga d’autoriser le recours aux fonds issus de la redevance minière alors que ces travaux relevaient de la compétence du gouvernement provincial, et sous pression de la société civile, le Gouverneur Jacques Kyabula Katwe avait fini par surseoir l’utilisation des fonds des ETD en ordonnant l’annulation de ce protocole d’accord. Un autre exemple de détournement présumé de la redevance minière, c’est la gestion opaque par le gouvernement provincial de la caisse de solidarité créée avec 10% des fonds de la redevance minière des ETD. Une pratique dénoncée dans le rapport Cordaid.
Le contrôle mis en mal par le clientélisme politique
Tout semble verrouillé dans le Haut-Katanga en ce qui concerne cette question de la redevance minière. Au cabinet du gouverneur comme au sein de l’administration provinciale, il est extrêmement difficile sinon impossible d’obtenir des informations fiables. Nous avons tenté de nous tourner vers l’Assemblée provinciale qui est l’autorité budgétaire mais elle se trouve trop souvent ignorée dans toutes ces transactions en violation de la loi sur les marchés publics. Elle n’intervient ni pour autoriser ces engagements et encore moins pour les entériner et enfin pour contrôler la conformité des fonds engagés par les sociétés minières à ce qu’elles devaient payer. Cette pratique déroge aux principes de la gestion budgétaire qui interdit la pré-affectation des ressources fiscales et parafiscales et ne permet ni leur contrôle, moins encore leur traçabilité.
Une situation particulièrement dénoncée par les organisations de la société civile pour qui : « L’Assemblée provinciale qui devait contrôler, clarifier la question de la gestion, n’est restée qu’une caisse de résonnance ». Les initiatives tendant à l’interpellation de membres du Gouvernement sur cette gestion des revenus ont toujours été étouffées. Et pour cause, le gouvernement du Haut-Katanga, avant le récent remaniement intégrant exclusivement les membres de la nouvelle coalition proche du Président de la République, était constitué à 90% des députés élus dont leurs suppléants ne peuvent soutenir une motion ou interpellation engageant la responsabilité directe du gouvernement. Il en est de même du ministère des infrastructures, « devenu un simple service d’exécution, un service à tout faire sans poser une question », se plaint un agent. A cette allure, s’inquiètent certains activistes de la société civile et experts du secteur minier congolais: « il y a risque que le code minier révisé soit une opportunité ratée d’assurer le développement communautaire dans la Province du Haut-Katanga ».
Pour redresser la situation, les organisations de la société civile estiment que les organes de contrôles administratif, politique et juridictionnel devaient être mis à profit pour rassurer une gestion orthodoxe, une affectation responsable et judicieuse de la redevance minière étant donné que les ressources minières sont épuisables et non renouvelables. Leur caractère non durable appelle à la vigilance et à la responsabilité en vue d’une gestion transparente et durable à même d’assurer leur développement et les aider à préparer l’après-mine car la province du Haut-Katanga ne peut pas y compter éternellement pour sa survie et les investissements d’avenir.
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