Une semaine entière s’est écoulée sans que l’investiture du gouvernement dont la publication est intervenue après une longue attente ne soit inscrite à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale. Pas besoin d’un dessin pour comprendre que la levée de boucliers de certains députés vent debout contre une composition de l’équipe gouvernementale qui ne serait pas à leur goût est à la base de cette procrastination. Finalement rien de précis n’a filtré de la grogne de quelques députés nationaux consécutive à la nomination des membres du gouvernement Sama Lukonde.
Tout ce que l’on sait est qu’après plusieurs conciliabules, ils ont décidé de réserver leurs récriminations à l’Autorité morale de l’Union sacrée, entendez le président de la République Félix Antoine Tshisekedi. Toutefois, à en croire certains d’entre les « députés révolutionnaires » à la langue pendue qui se sont rependus dans les médias à l’instar de l’élu de la Lukunga Léon Nembalemba dit Papa Molière, il serait reproché au cabinet Sama Lukonde entre autres griefs de ne pas respecter la géopolitique. « Les provinces du Kasaï Oriental et du Sud-Kivu dont sont originaires le Chef de l’État, la première dame, le président du sénat et le président de l’UNC Vital Kamerhe se sont taillés la part du lion. L’espace kasaïen à lui seul, par exemple, a raflé 25% de postes au gouvernement.
Alors qu’on avait promis que les députés seraient majoritaires dans ce gouvernement, ce qui est tout à fait légitime dans le régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire qui veut que le gouvernement soit l’émanation de l’Assemblée nationale, il n’y a que 22 députés sur les 56 membres du gouvernement pendant que le premier ministre lui-même n’est pas issu de l’Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, nous avons écrit au président de la République pour qu’il corrige ce qu’il y a à corriger avant l’investiture », a-t-il fait savoir. Une déclaration qui est loin de convaincre lorsque l’on en juge par certains chantages ayant fusé ça et là sur l’assurance que voudraient avoir ces élus de figurer sur les listes de futurs mandataires ainsi que sur la réalisation des promesses de jeeps qui leur seraient faites en échange de l’éviction du bureau Mabunda et du premier ministre.
Au demeurant, quelle que soit la véritable raison de la fuite en avant de ces élus dont le sort n’a pas de commune mesure avec la misère de plus en plus croissante de leurs électeurs, leurs soubresauts sont révélateurs d’un malaise latent qui n’est pas de bonne augure à l’Union sacrée.
MAUVAIS DÉPART ?
L’excès de liberté des députés sociétaires de l’Union sacrée au moment où les Congolais attendent que la nouvelle majorité fasse chorus autour de la vision du chef de l’État ne peut que faire craindre le pire pour la suite des événements. Bipolaire à l’époque de la coalition FCC-CACH, la majorité parlementaire est devenue multipolaire avec plusieurs autorités morales dont l’ascendant sur les troupes à l’Assemblée nationale notamment a été fortement érodé par la récente interprétation de la nullité des mandats impératifs par la Cour constitutionnelle en décembre dernier. « Nous sommes tous des députés nationaux avec les mêmes prérogatives. Personne n’est plus député qu’un autre.
Nous avons constaté que la composition du nouveau gouvernement continue à refléter la volonté des autorités morales dont certains ont sinon conservé leurs strapontins au gouvernement, du moins y ont fait une entrée remarquée. Pour les entreprises publiques, il n’est plus question que notre sort soit abandonné au bon vouloir des autorités morales dont on nous assurait pourtant que le règne était révolu. Le système de listes proposées à la nomination par les autorités morales doit prendre fin parce qu’il dessert les députés nationaux. Nous souhaitons que les futures ordonnances de nomination soient la résultante du consensus qui sera dégagé entre le premier vice-président Jean Marc Kabund et nous. Il avait promis d’être notre avocat auprès de la hiérarchie. Nous serons ingérables s’il ose encore nous faire faux bond », tempêtait un député « révolutionnaire » jeudi dernier au palais du peuple.
Réagissant à la mauvaise image que donnent ces députés protestataires de l’Union sacrée, un professeur des sciences politiques et administratives de l’Université de Kinshasa n’a pas caché son désappointement. « D’abord considérés comme des héros qui ont eu le courage de déboulonner le système Kabila, les députés de l’Union sacrée semblent ne plus avoir bonne presse au sein de l’opinion qui réalise enfin que la déchéance de Mabunda et Ilunkamba obéissait plus à la logique des jeux des chaises musicales qu’à des considérations éthiques. À force de se compromettre dans la recherche effrénée des prébendes, les élus de l’Union Sacrée risquent a contrario de rendre sympathiques les caciques du FCC qu’ils ont détrônés. À leur époque au moins, il y avait une certaine discipline au sein des assemblées législatives qui rendait la gouvernance possible », a-t-il déclaré un tantinet nostalgique. Comment ne pas accorder du crédit à son analyse lorsque l’on considère que jamais par le passé une équipe gouvernementale n’a fait face à une telle hostilité à la chambre basse du parlement avant son investiture ? Si la majorité dont est issu le gouvernement rouspète à ce point au lieu d’investir son gouvernement, qu’en sera-t-il lorsque viendra le temps d’avaliser les projets de loi dans le cadre de toutes les réformes annoncées et attendues ? Le gouvernement Sama Lukonde dont la naissance sera à tous les coups indésirable à l’Assemblée nationale saura-t-il réussir le pari d’apprivoiser une représentation nationale aussi rebelote ?
À Sama Lukonde de jeter les ponts
Malgré toutes les gesticulations d’une poignée de grincheux au parlement, plusieurs analystes pensent que le gouvernement Sama Lukonde sera coûte que coûte investi, même dans la douleur. La grande inconnue demeure l’habileté ou l’ingéniosité dont devra faire preuve le chef du gouvernement pour s’attirer les faveurs des parlementaires ayant fait la fine bouche. Le ministère chargé des relations avec le parlement est ainsi appelé à jouer pleinement son rôle pour normaliser les relations qui s’annoncent déjà nuageuses entre l’exécutif et le pouvoir législatif. Issue de l’Assemblée nationale, la nouvelle ministre Anne Marie Karume devrait bénéficier de davantage de moyens de sa politique de bons offices ainsi que d’une oreille beaucoup plus attentive du premier ministre sur les suggestions qu’elle devrait lui soumettre pour permettre aux membres du nouveau gouvernement d’être adoubés par ce parlement là.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Dans leur configuration actuelle, si l’on n’y prend garde, les deux chambres du parlement risquent de devenir l’équation la plus difficile à résoudre pour le gouvernement Sama Lukonde. Le ministère des relations avec le parlement devrait à cet égard se garder de se gargariser dans sa zone de confort traditionnelle. Il revient en effet à ce ministère de sortir des chantiers battus et de bousculer les stéréotypes en vue d’inventer un modus vivendi innovent et adapté à la nouvelle donne. Ce ministère jadis relégué à des tâches figuratives va devoir se découvrir une vocation transversale pour dompter les vents contraires qui soufflent au palais du peuple. La stabilisation des institutions au cours de cette mandature imprévisible en dépend.
24h.CD/acturdc.com