Le samedi 19 décembre 2020, les Affinités Scientifiques Auguste Mampuya Forever, ASAMAF en sigle, a procédé à la présentation officielle de sa coordination nationale. A la suite de cette présentation officielle, ASAMAF, structure scientifique et culturelle qui, s’inspirant de la pensée et de la méthodologie d’Auguste Mampuya, réfléchit et mène des recherches, analyses et études sur les questions juridiques et politiques relatives à l’Etat congolais, à son fonctionnement et à sa réforme, qu’elle veulet holistique, lance une série de réflexions liées à l’actualité nationale de ce moment de « crise » interne de la coalition FCC-CACH qui s’est elle-même reniée et finalement défaite, tandis que le Président de la République, l’auteur et bénéficiaire de la dislocation de cette coalition, annonce être à la recherche d’une nouvelle majorité qui, au Parlement, fasse allégeance à sa vision et l’aide à la mettre en œuvre.
Elle a à cette même occasion adopté le programme d’activités de la saison de 2021. Sans attendre, elles ont commencé l’exécution de ce dernier par une réflexion sur le sort électoral de Jean-Pierre Bemba, avec des débats sérieux et approfondis entre ses membres, à l’issue desquels cette Asbl affirme que « Jean-Pierre bemba est éligible pour les élections de 2023. » Ci-joint la substance de cette étude : Pourquoi, dira-t-on, évoquer cette problématique en ce moment ? Il est vrai que l’ancien Vice –président fut condamné par la Chambre de première instance VII de la Cour pénale internationale, sur le pied de l’article 70-1-c du Statut de Rome créant la CPI, l’ayant reconnu coupable de subornation de témoin. ASAMAF a constaté que l’opinion ne cesse d’évoquer l’hypothèse du rejet de sa candidature en 2023 prenant pour motif cette condamnation. Pour rappel, à cause de cette condamnation, la candidature de Jean-Pierre Bemba aux élections de 2018 fut déclarée irrecevable. ASAMAF n’a pas non plus oublié que presque tout le monde a soutenu que le récent rapprochement opéré par l’ancien Vice-président avec le Président de la République, en répondant à l’invitation aux consultations que lui avait adressée ce dernier, et par l’éventuelle adhésion de son mouvement à « l’Union sacrée de la Nation » initiée par lui, serait justifié par son souci de négocier la réforme de la loi électorale et pour que sa candidature, ainsi que, à sa suite, celles des autres personnes qui étaient condamnées avec lui, soient déclarées recevables aux échéances électorales à venir, celles de 2023. Appliquant l’une des leçons apprises par ses membres, ASAMAF, a le souci d’éclairer cette question en raison de l’état du droit, et non par des arguties politiciennes que chérissent certains.
Subornation de témoin et corruption
Le premier constat est que, en réalité, le droit pénal congolais organise l’incrimination de « la subornation de témoin » à l’article 129 du code pénal livre II ; mais, indépendamment de la controverse que cette interprétation avait soulevée, il a été facile d’assimiler la subornation à la « corruption », fait également prévu et condamné par le droit congolais aux articles 147 et 149 bis, couvrant ainsi la version anglaise de cet article du Statut de Rome qui parle de corruptly influencing a witness, soit, littéralement, le fait « d’influencer par la corruption un témoin », ou l’exercice d’une « influence corruptrice » sur un témoin. Certains, il est vrai, considéraient que dans la définition de la subornation des témoins, la corruption ne sert que comme infraction moyen et donc, une circonstance aggravante, qui ne doit pas être considérée en elle-même. Dans cette conception, l’assimilation de la subornation à la corruption était malheureuse. Mais, lorsque l’autorité électorale considère que « être condamné pour corruption » ne doit pas uniquement viser l’infraction de corruption comme telle mais tous les faits infâmants qui se commettent par la corruption, on ne trouve pas d’inconvénient à revenir sur ce débat en retenant l’interprétation qui en avait découlé et qui fut acceptée.
Deuxième constat, le droit congolais prévoit l’inéligibilité comme, dans certains cas, une peine complémentaire consécutive à une condamnation pénale principale pour une certaine catégorie d’infractions. C’est ainsi que la loi électorale, la loi n°17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, décide en son article 10 point 3 que sont « inéligibles les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption, de détournement des deniers publics, de… ». C’est donc sur la base de cette loi électorale que Jean-Pierre Bemba fut déclaré inéligible et sa candidature déclarée irrecevable aux élections de 2018. Par ailleurs, on peut considérer cette disposition de la loi électorale comme une application particulière du droit pénal en la matière. En effet, l’article 149 bis point 2 du Décret du 30 janvier 1940 tel que modifié et complété à ce jour (notre code pénal) prévoit, en cas de corruption, cette peine complémentaire ; il y est dit en effet que « Le coupable de la corruption active ou passive sera en outre condamné à l’interdiction pour cinq ans au moins et dix ans au plus, après l’exécution de la peine, du droit de vote et du droit d’éligibilité ; »
Bemba éligible aux élections de 2003
Le raisonnement adopté par ASAMAF change totalement les perspectives. Certes, la loi électorale, mal lue, entendre que l’inéligibilité de la personne condamnée serait ad vitam aeternam collée intuitu personae, parce que la disposition exposée ci-haut de l’article 10 ne permet d’envisager aucun terme à l’issue duquel cesserait l’inéligibilité, de telle sorte que l’on croirait que celle-ci est permanente. En droit pénal, aucune peine n’est laissée sans terme ni simple indication de sa durée, comme la réclusion ou l’emprisonnement ou encore la servitude pénale, imposés à perpétuité. Par ailleurs, la loi pénale, à la lumière de laquelle doivent être interprétées les dispositions pénales de toutes les autres lois, comme c’est sa tradition et sa logique, fixe un terme à cette condamnation complémentaire, « l’interdiction du droit de vote et du droit d’éligibilité » durant en effet entre cinq et dix ans. Le code pénal militaire congolais ( loi n°024/2002 du 18 novembre 2002) est encore plus précis à ce sujet sur la nature de la peine d’interdiction du droit de vote et du droit d’éligibilité en ce qu’il prévoit à son article 33 notamment que « Les juridictions militaires peuvent, dans certains cas prévus par loi, interdire, pour un temps déterminé, en tout ou en partie, l’exercice des droits civiques, politiques et civils : de vote et d’élection, d’éligibilité… ».
Il ressort de cette disposition que la peine complémentaire prévue à l’article 33 du code pénal militaire n’est pas à durée indéterminée. Cette durée doit par conséquent être délimitée et pour un domaine de privation des droits et des libertés, la détermination doit être claire (à perpétuité ou à temps), le doute ne devant pas être interprété contre ou en défaveur de la personne visée. Ainsi donc, l’article 10 de la loi électorale ne doit pas être interprété, sauf mauvaise foi, comme instituant une peine à durée indéterminée.
D’ailleurs, le droit pénal qui est un droit qui institue des interdictions et des privations est d’interprétation stricte, si bien que, généralement, le législateur pénal, lorsqu’il institue une peine, détermine de manière claire et sans équivoque sa durée. Lorsqu’elle est une peine à durée indéterminée, il prend le soin de le dire et de l’énoncer très clairement, pour ne pas laisser place au doute. Ainsi, où le législateur veut instituer une peine dont la durée est à perpétuité, il le dit. L’article 10 de la loi électorale se réfère donc à la durée de la peine, prévue par le droit pénal ordinaire, et voulu « pour un temps déterminé ».
A ce sujet, les droits civiques, politiques et civils d’un individu étant cause, rien ne peut conduire à une interprétation extensive de la loi si bien que le principe « specialis generalibus derogant » que certains seront tentés d’invoquer ne devra pas trouver application parce que la loi spéciale invoquée est non seulement défavorable au prévenu ( hypothèse ou solution à écarter en vertu de l’application de la loi pénale la plus favorable) mais aussi qu’il n’indique pas la durée d’application de la peine qu’elle prévoit, ne renseignant même pas qu’elle est à durée indéterminée ou à perpétuité. Ceux qui concluront donc à la perpétuité le feront au bout d’une mauvaise interprétation obtenue à l’issue des efforts de recherche du sens et de l’intention du législateur. Or, la disposition de l’article 10 de la loi électorale ne peut être correctement interprétée qu’en mobilisant plusieurs facteurs dont le recours à la nature même du droit pénal, la lecture combinée de cette disposition à d’autres existant sur la même question, tenant compte du fait que les droits fondamentaux sont en cause, et en fonction du fait qu’en cas de doute et de conflit entre une loi précise et claire et une autre loi ambiguë parce qu’elle ne dit pas que la peine qu’elle institue est à durée indéterminée, la peine à appliquer est celle qui est claire et favorable au prévenu. L’intention du législateur de l’article 10 de la loi pénale n’était donc pas d’instituer une peine permanente et ad vitam aeternam puisque dans ce cas il l’aurait énoncé de manière claire. Par ailleurs, tandis que le juge international n’avait pas prononcé cette peine complémentaire d’inéligibilité, celle-ci a été déduite par l’autorité électorale, la CENI, en vertu du droit congolais où elle est imposée comme obligatoire par l’article 149 bis, en cas de corruption, et comme facultative dans d’autres cas ( voir article 220 du code pénal congolais) même si aucun juge national ne l’avait à la suite de la CPI concrètement décidée, étant entendu que pour la CENI, l’inéligibilité était, dans la logique du droit pénal congolais, induite obligatoirement par la condamnation de J-P Bemba par la CPI.
C’est donc sous l’éclairage du code pénal qui institue l’infraction de corruption et en fixe la sanction, que la disposition de la loi électorale posée par l’article 10 point 3, qu’on la considère comme ou non comme disposition pénale au sens strict du terme, et qui n’est qu’une application du code pénal à un cas particulier, doit être précisée en comblant ce vide concernant la durée de la peine d’inéligibilité. L’inéligibilité déclarée par l’autorité électorale, doit, en vertu du droit pénal congolais (article 149 bis), avoir une durée comprise entre cinq et dix ans. De telle sorte que la condamnation de M. Bemba ayant été prononcée le 19 octobre 2016, et sa peine étant considérée comme exécutée à la même date à cause de la déduction du temps passé en détention à la CPI, conformément au code pénal congolais, l’inéligibilité de Jean-Pierre Bemba va donc courir jusqu’en 2021 au moins et jusqu’en 2026 au plus.
Or, en droit pénal, lorsque deux situations sont applicables en même temps à un prévenu, c’est la situation la moins désavantageuse pour ce dernier, donc la loi pénale la plus douce, qui s’applique. Sans limiter le champ de ce principe à une situation de conflit ou de coexistence de lois, il nous semble que la loi pénale, même à l’intérieur d’une même disposition, doit être appliquée dans son sens et dans son interprétation de manière à privilégier le sens plus favorable à la personne concernée. Ainsi, en absence de circonstance aggravante, il devrait être choisi le sens le plus doux, le plus favorable. C’est donc la durée minimale de cinq ans d’inéligibilité qu’il faut appliquer ici, et retenir que l’inéligibilité de M. Jean-Pierre Bemba est de cinq ans.
Par conséquent, il faut considérer que la peine d’inéligibilité applicable à Jean-Pierre Bemba étant de 5 ans, elle devrait prendre fin le 18 octobre 2021. Il n’est donc plus question de penser qu’il peut chercher à s’engager en politique en vue de solliciter l’implication d’une quelconque autorité pour une réforme de la loi dans le sens qui lui serait favorable. L’absence d’une décision judiciaire congolaise n’a pas empêché l’autorité électorale d’appliquer cette interdiction, tandis que l’absence de précision quant à la durée de la peine complémentaire obligatoire ne devrait pas non plus faire considérer qu’elle serait sans terme, permanente ou éternelle, mais suggère plutôt cette interprétation favorable au condamné et il ne serait ni juste ni, encore moins, équitable d’appliquer une durée différente du minimum prévu par la loi pénale.
Ainsi, pour les anciens étudiants et les amis du professeur Auguste Mampuya réunis au sein de ASAMAF, la réponse juste à apporter à la question de l’éligibilité de Jean-Pierre Bemba est celle de retenir le minimum de la fourchette indiquée par la loi pénale, faute d’avoir une décision judiciaire sur cette question. Penser appliquer la peine maximale à Jean-Pierre Bemba sans qu’il y ait eu un jugement à cet effet, alors que la loi définit plutôt une fourchette entre le plancher et le plafond, ne peut être justifié par aucun principe de droit et s’apparenterait plutôt à de la persécution.
Le 18 octobre 2021 marquera donc la fin de la peine d’inéligibilité tirée de la condamnation de Jean-Pierre bemba Gombo. M. Bemba pourra donc être candidat en 2003 sans devoir aliéner sa liberté politique ni être considéré comme n’ayant jusqu’ici agi que par cet intérêt et ce souci de bénéficier d’une sorte d’indulgence. Comme elle l’a fait, proprio motu, en appliquant l’article 10 point 3 de la loi électorale, l’autorité électorale, la CENI, devra donc, limitant l’inéligibilité à cinq ans, décider, tout aussi proprio motu, de reconnaître l’éligibilité de Jean-Pierre Bemba aux élections de 2003.
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