Simeon Nkola à Félix Tshisekedi : « Les victoires politiques, éphémères par nature, doivent accoucher des actions à fort impact économique et social. »

Il défrayait la chronique. Sa déclaration était fracassante, ses mots étaient intelligibles et suffisamment espacés pour que le récepteur en mesure la portée : “Je le dis sans peur! Je suis là pour déboulonner le système dictatorial qui était en place.” Ainsi parlait-il déjà en Avril 2019, au Council on Foreign Relations (CFR), qui est un think tank consacré à l’analyse de la politique étrangère Américaine et au contexte politique mondial.

“Il” c’est Félix Tshisekedi. Nouvellement investi Président de la République Démocratique du Congo, il cherche à la manière d’un forçat à échanger le statut de pariah dont son pays a hérité, contre une reconnaissance et un réengagement de la communauté internationale.

Même s’il ébruite de si tôt le fond de son ambition secrète, l’opinion n’y accorde pas beaucoup de foi. Au-delà du charivari suscité, la doctrine du déboulonnement ne fait pas beaucoup de fidèles car dans plusieurs oreilles le propos tombe comme une simple déclaration d’intention, au passage très ambitieuse. Au moment où ces mots sont prononcés, son allié de circonstance tient encore le gros des institutions en laisse et n’hésite pas à lui tailler les croupières à chaque fois que le cynisme politicien l’oblige. Mais c’est sans compter sur l’imprévisibilité de l’histoire et sur la force de frappe d’un Félix Tshisekedi, pourtant bienveillant.

Au fil des mois le FCC de Joseph Kabila s’est surpris à encaisser coup après coup, jusqu’à se retrouver en minorité, exsangue et au bord de l’extinction. Le terrain a été labouré et la charrue de l’Union Sacrée a véritablement remué le champ politique. Mais c’est seulement si on méconnaît l’ampleur du système qu’on peut se permettre de sonner le glas, si vite.

Le démontage des pièces maitresses dans les institutions politiques ne doit être vu que pour ce qu’il est : un premier acte—certes éclatant et dépassant les attentes—qui réclame un travail de fond et continu. La chute de Jeanine Mabunda du perchoir de l’Assemblée Nationale, la déchéance du Premier Ministre Sylvestre Ilunkamba, et la démission du président du Sénat ne doivent être que des signes avant-coureurs d’un changement plus profond et plus large. Les outils du déboulonnement doivent être portés au plus profond du système pour desserrer d’autres boulons qui n’en sont pas moins centraux.

Une victoire comme celle qui vient d’être enregistrée ne se traduit en réel changement que quand le capital politique qu’il accorde est mis à profit pour impacter positivement le vécu du peuple qui sèche sur pied. Par conséquent, l’Union Sacrée telle que constatée dans la recomposition de la majorité parlementaire et tel qu’elle sera bientôt cristallisé dans un Gouvernement, se doit de se consacrer à la lutte :

– Contre le système profond qui se servait et peut encore se servir des institutions comme d’une façade pour protéger des intérêts tapis dans l’ombre.

– Contre la prédation économique qui procède de quelques familles et des réseaux mafieux, syndicats du crime dont les circuits d’enrichissement illicite continuent d’anémier les comptes du trésor public.

– Contre les parrains de la guerre et de l’insécurité dont certains “servent” au sein de l’armée et des forces de sécurité, en toute impunité, et ce malgré leurs implications mises à nu dans certains rapports.

– Contre les comptables de la gestion hasardeuse de deux dernières décennies dont quelques uns sont passés avec armes et bagages du côté de l’Union Sacrée dans l’espoir de se faire une place au soleil et de bénéficier d’une amnistie.

– Contre l’iniquité des décrets dits “décrets-Tshibala”, qui accordent des avantages exorbitants à une caste d’anciens premiers ministres, ministres, présidents des assemblées nationales, anciens chefs des corps constitués, pour ne citer que ceux-là car la liste est follement longue.

– Contre les arrivants du nouveau pouvoir dont on a pu déjà constater qu’il y a dans leurs rangs des éléments poussés par le lucre et pris par l’ivresse du lait, pour éviter qu’ils ne reproduisent des abus dont le pays n’a que trop souffert.

– Contre la boulimie des institutions pléthoriques et qui captent la part la plus importante de recettes de l’État.

– Contre les ramifications du système dictatorial qui par l’usure s’est introduit insidieusement dans les consciences et dans les mentalités.

Le Président de la République, très à l’étroit il y a encore quelques mois, s’est révélé comme un remarquable manœuvrier au dépens de ses détracteurs qui n’invoquaient que la faiblesse et l’indécision. L’Union Sacrée bientôt consolidée par la sortie d’un Gouvernement lui ouvre un boulevard de possibilités grâce auxquelles le changement effectif, tel qu’attendu, peut être amorcé et ressenti pendant les trois ans qui restent au quinquennat.

Le sens de ce que le pays vient de vivre nous fait dire que c’est maintenant qu’il faut travailler et très vite. Les victoires politiques, éphémères par nature, doivent accoucher des actions à fort impact économique et social.

Siméon Nkola Matamba est un éditorialiste, blogueur et commentateur de l’actualité sociopolitique de la République Démocratique du Congo.

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