RDC : Regroupement politique en vue de la nomination du Premier ministre : entre orthodoxie et conformisme (Tribune de Guerschom ESAMBO)

Je me trouve dans l’obligation patriotique de nous rappeler le sens de certains termes avant de poursuivre ma réflexion sur les enjeux politiques du moment autour de la nomination et de la démission du Premier ministre à la lumière de l’article 78 de la Constitution. Il s’agit de parti politique, regroupement politique et/ou coalition.

Parti politique

Il appert de l’article 2 de la loi n° 04/002 du 15 mars 2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques qu’un parti politique est une association des personnes physiques de nationalité congolaise, qui partagent la même idéologie et le même projet de société en vue de conquérir et d’exercer démocratiquement et pacifiquement le pouvoir d’Etat. Il sied de comprendre de cette loi qu’une personne morale ne peut créer un parti politique ni en être membre. Il en de même pour une personne de nationalité étrangère.

Regroupement politique

L’ancienne loi n° 001-2001 portant organisation et fonctionnement des partis politiques du 17 mai 2001 (déjà abrogée) définit un regroupement politique comme « une association de plusieurs partis au plan de l’idéologie et/ou  du programme politique ». Cette définition nous semble beaucoup plus nette et précise que celles venues après en ce sens qu’elle détermine la sémantique et l’objectivité d’un regroupement politique.

En effet, on peut lire dans le préambule de la loi de 2004 susévoquée sur les partis politiques, ce qui suit : « … ces regroupements (politiques) sont, en réalité, des associations ou des coalitions momentanées formées au gré de la conjoncture politique, parfois sur base d’un simple protocole d’accord. Leur vie est par essence, des plus précaires et il ne convient pas, par conséquent, de les assujettir à un formalisme excessif et rigide au risque de les vider de leur pertinence ».

En outre, aux termes de la loi de 2001, un regroupement politique devait être enregistré au ministère ayant les affaires intérieures dans ses attributions qui, du reste, délivrait un arrêté d’enregistrement qui valait reconnaissance officielle et entrainait par ricochet l’octroi de la personnalité juridique.

Par ailleurs, avec la loi de 2004, les regroupements politiques sont quasiment ignorés par celle-ci, exclus de son champ d’application et considérés de moindre importance politique. 

Il faudra insister sur le fait que la Constitution de la RdC telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 02 janvier 2011 n’a pas utilisé ce vocable regroupement politique. Elle a plutôt évoqué un tout petit peu le terme coalition qui en droit constitutionnel (spécialement dans les régimes parlementaires à multipartisme indiscipliné) est l’ensemble, souvent instable, des forces politiques qui composent la majorité, soutiennent le gouvernement et y participent (Serge Guinchard, Lexique des termes juridiques, 25e éd., Dalloz, 2017-2018).

C’est ce que l’on peut lire à l’article 78 qui aborde la question de la nomination du Premier ministre et autres membres du gouvernement. Il est dit à l’alinéa 2 que si la majorité parlementaire au sein de laquelle le Premier ministre est nommé n’existe pas le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une « coalition ».

Pourquoi alors cette notoriété du terme regroupement politique ?

Le terme « regroupement politique » nous vient de la loi électorale en vigueur qui le considère comme une entité plus ou moins autonome dans le contexte strict des élections. Elle définit le regroupement politique comme étant « une association créée par les partis politiques légalement constitués en vue de conquérir et d’exercer le pouvoir par voie démocratique. La CENI ainsi que l’autorité administrative compétente en sont immédiatement informés » (article 14). Pour plus de détails, lire les articles 12, 13 et suivants de loi électorale. C’est le contraire de l’image d’un regroupement politique telle que présentée par la loi en vigueur sur les partis politiques (supra). Les regroupements politiques ne sont pas à confondre avec les alliances non institutionnelles telles le FCC, CACH ou LAMUKA.

Qu’est-ce que l’on peut donc retenir de ces plateformes dites tantôt électorales tantôt politiques ?

En réalité, les alliances et les coalitions non institutionnelles ne font pas l’objet d’une codification particulière dans notre pays. Dans cette catégorie, on parlerait aujourd’hui des structures comme le Front Commun pour le Congo (FCC), le Cap pour le Changement (CACH) ou Lamuka. Ces plateformes sont, en effet, des structures informelles nées des simples accords et qui ne sont pas moins considérés comme des moyens que des acteurs à part entière du jeu politique.

Voici ce que l’on peut retenir de la coalition, au regard de l’article 78 de la Constitution de la RdC telle que modifiée à ce jour et les enjeux politiques actuels.

L’article 78 dispose que le Chef du gouvernement est « nommé par le Président de la République au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci ». La majorité dont question dans cet alinéa implique le parti politique ayant la majorité des sièges du parlement qualifié de destin de la démocratie par Kalsen, et composé de deux chambres (bicamérisme ou bicaméralisme), dans le contexte congolais actuel.

C’est seulement lorsque cette majorité n’existe pas que le Président de la République confie une mission d’information en vue de l’identification d’une coalition.

La coalition est en réalité faite entre partis politiques qui unissent leurs forces politiques en vue de constituer une majorité. À notre entendement, la coalition dont question, ne devrait pas être admise entre regroupements politiques qu’il faut voir dans le contexte des élections et, moins encore entre alliances ou coalitions non institutionnelles et informelles comme le CACH et le FCC. Par conséquent, il est inconcevable que l’on se contente d’une coalition non institutionnelle pour parler d’une majorité parlementaire n’en déplaise au plus grand nombre de regroupements politiques qui la composent. 

Si l’on peut admettre que la majorité parlementaire issue d’un regroupement politique est valable au sens de l’alinéa 1 de l’article 78 de la Constitution sans préalablement une mission d’information, c’est par le fait de la loi électorale et non du Constituant. Pour moi, la coalition dont question à cet article est synonyme de ce que l’on peut désigner par regroupement politique.

Comme dit précédemment, la loi de 2004 sur les partis politiques rejette en bloc les regroupements politiques. Ces derniers ne sont pas d’une importance considérable, ils sont formés au gré de la conjoncture politique de lege lata. Il faut que l’on reconnaisse cependant que la loi électorale y fait allusion d’où la nécessité de leur codification dans la même loi spéciale que les partis politiques de lege feranda, comme cela a été le cas avec l’ancienne loi de 2001 sur les partis politiques et regroupements politiques. Il faudra d’abord penser à harmoniser ces deux textes sur la question avant de la confronter à l’article 78 de la Constitution.

C’est ici qu’il faut relever l’irrégularité de l’ordonnance du Président de la République ayant nommé le Premier ministre ILUNGA ILUNKAMBA. Elle n’est pas conforme à la Constitution. Existait-il à ce temps une majorité parlementaire identifiée au sein de laquelle Ilunkamba a été nommé ? Non. Le PPRD, le parti politique ayant le plus de sièges au parlement n’avait que quelques centaines de parlementaires. Donc, il fallait impérativement et préalablement une mission d’information en vue de l’identification de la majorité.

Somme toute, la mission d’information n’intervient que pour identifier une coalition lorsque la majorité parlementaire n’existe pas. Celle-ci étant elle-même moins constante, peut basculer et se recomposer ad nutum. Par conséquent le gouvernement doit tomber à chaque fois qu’une nouvelle majorité voit le jour. Autrement dit, une fois l’informateur nommé et identifie une nouvelle majorité, le Premier ministre, mieux, le gouvernement est  juris et de jure démissionnaire. C’est du moins ce qui ressort de l’article 58 précité.

Tribune de Guerschom ESAMBO HUSHINAWAKE M., Chercheur en droit international et passionné du droit constitutionnel

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