RDC: Quand le projet de cartes d’identité se mue en complexe commercial

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Depuis une vingtaine d’années, les dirigeants congolais promettent et échouent à mettre en place un programme national d’identification. Pour comprendre pourquoi les accords conclus avec des sociétés biométriques n’ont jamais abouti, Bloomberg, Lighthouse Reports et Actualite.cd ont passé plus d’un an à étudier ces accords, à interroger plus d’une douzaine de personnes familières avec les négociations et à examiner des milliers de pages de documents non publiés. Après les révélations sur le consortium Idemia/Afritech, ce deuxième volet de l’enquête est consacré aux années Kabila

À Lubumbashi, tout le monde connaît le centre commercial Hypnose. Pour ses débuts publics le 2 juin 2018, les promoteurs avaient organisé une grande fête. L’invité d’honneur ?  président congolais de l’époque Joseph Kabila. Debout aux côtés de son épouse, Olive Lembe di Sita, c’est lui qui avait inauguré le bâtiment et coupé un ruban imprimé aux couleurs nationales du Congo avec une paire de ciseaux dorés. A l’époque, personne n’avait révélé les liens qui existent entre Hypnose et le projet de carte d’identité nationale.   

Pourtant, ce bâtiment futuriste, dont la construction aurait coûté 25 millions de dollars, permet de mieux comprendre pourquoi le projet d’alors a échoué. 

Les détails de cet accord vieux de dix ans, qui n’ont jamais été révélés, illustrent la manière dont l’argent qui devait à l’origine bénéficier à des millions de citoyens congolais a été utilisé, par le biais de sociétés écrans et de négociations secrètes, pour servir un petit cercle de personnes fortunées ayant des liens étroits avec l’ancien président Kabila.

Tout commence en octobre 2014. A cette époque, l’entrepreneur belge Albert Karaziwan  écrit une lettre à Joseph Kabila pour lui présenter son entreprise. Karaziwan, qui possède trois châteaux et gère un portefeuille de biens immobiliers, est le fondateur de Semlex, une entreprise familiale spécialisée dans la technologie biométrique. Depuis 1992, Semlex fournit des cartes d’identité nationales et des passeports à une douzaine de pays africains. Karaziwan proposait les deux à la RDC. 

Joseph Kabila se montre intéressé. Les discussions entre Karaziwan et les représentants du président se sont déroulées pendant plus d’un an, par le biais d’échanges écrits et de réunions en personne à Paris, Bruxelles et Dubaï. Le plan de Semlex ? Faire payer 185 dollars à l’élite congolaise pour un passeport – une somme énorme dans un pays où, selon la Banque mondiale, les trois quarts de la population vivent avec moins de 2 dollars par jour. Une partie de ces bénéfices serait ensuite utilisée pour imprimer des cartes d’identité, que les citoyens recevraient gratuitement.

Karaziwan présente ce plan à Joseph Kabila dans une lettre datée du 18 novembre 2014. « Semlex propose d’offrir gratuitement la carte d’identité nationale qui coûte 5 dollars. Ce coût sera absorbé par un système de compensation à travers les autres documents qui nous sont confiés. »

Le projet est alors négocié entre Semlex et divers organismes d’État, notamment le ministère des Finances, le ministère de l’Intérieur et l’Office national d’identification de la population (ONIP). Au cours du premier semestre 2015, les projets passeport et de carte d’identité avancent en parallèle. Semlex prépare deux contrats distincts dans lesquels elle propose de financer, de construire et d’exploiter l’infrastructure nécessaire à la production des deux types de documents. En mai, la société rédige un contrat pour un système de carte d’identité nationale qui, selon ses prévisions, coûterait 430 millions de dollars. Le mois suivant, elle signe un contrat avec le gouvernement pour la production des passeports congolais, qui devrait coûter 222 millions de dollars sur cinq ans. Dans les deux cas, Semlex accepte de couvrir les coûts initiaux en espérant récupérer les paiements grâce aux recettes des ventes de passeports.

Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Bien qu’il ait reçu un avis de non objection de la part de la Direction générale du contrôle des marchés publics (DGCMP), le projet de carte d’identité  reste définitivement dans les tiroirs.

De son côté, le ministère congolais des Affaires étrangères a commencé à vendre des passeports fin 2015, comme l’ont raconté  les médias congolais. Selon deux sources au fait des négociations, les fonds générés par ses ventes – initialement destinés à subventionner la production de cartes d’identité – ont plutôt été redirigés vers la famille Kabila par le biais d’un mécanisme de paiement déguisé. Sur les 185 dollars dépensés pour chaque passeport, 60 dollars, soit près d’un tiers du coût total, ont été versés à une société nouvellement créée aux Émirats arabes unis, appelée LRPS, a déclaré l’une de ces personnes, confirmant une information de Reuters. Des documents financiers consultés par cette enquête désignent Makie Makolo Wangoi, un proche de l’ancien président Kabila, comme l’unique directeur et actionnaire de LRPS. Contacté, Makie Makolo Wangoi n’a pas répondu à nos demandes d’interview. 

L’une des sources au fait des négociations assure que le contrat passeports a été utilisé « comme garantie » pour obtenir un prêt de 25 millions de dollars auprès d’une banque privée congolaise pour financer le complexe commercial Hypnose. « 25 millions de dollars sont allés à Lubumbashi », a déclaré cette personne, décrivant Albert  Karaziwan et Joseph Kabila comme des « partenaires », dans le cadre du projet Hypnose. La deuxième source, impliquée dans les négociations actuelles du projet carte d’identité et qui connaît les détails des négociations antérieures, a confirmé que le contrat passeports, obtenu en 2015 par Semlex, a été utilisé pour obtenir un prêt et que la construction d’Hypnose était liée aux projets de passeports et de carte d’identité. Cette personne, qui a requis l’anonymat, a également ajouté que l’ancien président Joseph Kabila avait demandé à Karaziwan d’agir en tant que son mandataire et de créer une société pour gérer le projet de construction d’Hypnose. 

Quelques mois plus tard, un édifice de verre étincelant s’élevait sur ce qui avait été un terrain vague de 22 000 mètres carrés dans le centre de Lubumbashi. Au Congo, le débat sur la carte d’identité avait alors cessé.

Semlex, Albert Karaziwan, l’ONIP et Joseph Kabila n’ont pas répondu aux demandes répétées de commentaires.

/actualité.cd

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