Mike Pompeo, le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis annoncé en République démocratique du Congo durant ce mois de février par le Président Félix Tshisekedi lui-même, ne viendra pas. A la place, le Chef de la diplomatie américaine a choisi l’Angola.
Si les Etats-Unis, du moins l’Ambassadeur américain à Kinshasa, Mike Hammer, a tenté de sauver les apparences en annonçant et obtenant la visite de l’Envoyé spécial des Etats-Unis dans la région des Grands Lacs, Peter Pham, cette visite manquée du plus haut responsable de la politique étrangère des Etats-Unis en RDC est un véritable affront pour le président Tshisekedi, qui avait tout fait pour l’obtenir.
En effet, derrière cette annulation, se joue un duel entre l’Amérique et Joseph Kabila, l’ancien président congolais, qui continue d’exercer le pouvoir en RDC, dans une alliance avec Félix Tshiskedi, depuis son départ officiel de la présidence à l’issue des élections de décembre 2018. Dès son élection, Félix Tshisekedi a tenté de se rapprocher des Etats-Unis, mais ces derniers ont été un peu plus clairs dans leurs intentions.
« Le grand problème qu’il y a au Congo c’est la corruption. Il n’y avait pas d’investissement américain dans ce pays parce qu’il y a de l’insécurité et de la corruption. La plupart des compagnies américaines sont sorties de la RDC à cause de la corruption », confiait Mike Hammer, l’Ambassadeur américain à Kinshasa en avril dernier.
Kabila contre l’aide américaine
Un peu plus tôt, le même ambassadeur américain, très actif, au point d’être le seul officiel américain qui jure par Kinshasa, proposait déjà une collaboration officielle entre le nouveau pouvoir de Kinshasa et Washington autour de la lutte contre la corruption. “Cette semaine, j’ai discuté avec le Président Tshisekedi des moyens par lesquels les États-Unis peuvent l’aider à lutter contre la corruption en RDC. Voyez ici certains des programmes que notre Bureau INL peut utiliser pour appuyer les efforts congolais “.
Mais lutter contre la « corruption » est une affaire difficile en RDC. De plus, les Etats-Unis n’ont pas choisi ce créneau innocemment. Le fait est que dans leur opposition au système de Kabila, les Etats-Unis espèrent ainsi, au départ de l’ancien président, affaiblir sa coalition, à l’image de ce qui se fait en Angola, où João Lourenço liquide petit à petit le système Eduardo Dos Santos.
En RDC, la situation est différente. Jusqu’à la veille des élections, Félix Tshisekedi n’avait encore aucune idée de l’emporter. A la différence de Lourenço, qui est un ancien général très respecté, en plus de faire partie de la même formation politique que son prédécesseur, Félix Tshisekedi vient de l’opposition, sans ancrage dans l’ancien pouvoir, et a été élu sans majorité parlementaire, dans une victoire contestée.
Le nouveau président congolais se retrouve face à une opposition pléthorique et un ancien président qui, en plus d’être son allié, n’a pas véritable fini avec la politique, comme le serait Eduardo Dos Santos.
Félix Tshisekedi captera néanmoins la volonté américaine au bout de ses multiples voyages à Washington. Dès le début, il déclare vouloir « déboulonner le système dictatorial » de Joseph Kabila. Mais très vite, le fils d’Etienne Tshisekedi, par pragmatisme ou crainte, met en place une pratique d’équilibrisme étonnant.
Quand il voyage, il affirme son pouvoir, comme à Berlin, en Allemagne, où affirme que Joseph Kabila n’est qu’un « consultant ». A son retour au pays, on le voit à nouveau déclarer sa flamme à son alliance avec Kabila. Des lieutenants de Félix Tshisekedi jouent également dans les deux sens. Un moment, on voit Jean-Marc Kabund, président intérimaire de l’UDPS, appeler à préserver la coalition, l’autre moment, on le voit menaçant ses alliés de nages.
Un pas à gauche, deux pas à droite
Quelques semaines avant l’annonce de l’arrivée de Mike Pompeo à Kinshasa, Félix Tshisekedi se voit interpeller tant par les américains que les Kabilistes de ses vas-et-viens, qui finissent par lasser tous les bord. Car pendant que Tshiskedi voyage à tout-va, la situation au pays ne s’améliore pas.
Les travaux du programme de cent jours du président Tshisekedi tournent en un fiasco. La situation économique également n’est pas au beau fixe. Le pays manque de l’argent et dépense mal! Les retombées des nombreux voyages du président se font rares.
A l’image des américains, le monde et les organisations financières internationales hésitent, regardant de loin le duel. Par ailleurs, si la coalition de Joseph Kabila est jugée nuisible par la donne internationale, au Congo, on découvre qu’au sein même de la coalition de Félix Tshisekedi, il y a bel et bien des pommes pourries.
Entre-temps, le FMI envisage certes un nouveau partenariat financier avec la RDC à la suite de la reprise des discussions entre les deux parties, obtenue par le président Félix Tshisekedi. Mais le Conseil d’administration du FMI a achevé ses consultations, au titre de l’article IV, avec la RDC le 3 septembre dernier, annonçant une série de recommandations au gouvernement congolais.
Parmi les recommandations, le FMI appelle les autorités congolaises à s’activer dans la mise en place des mesures pour la lutter contre la corruption en RDC. “ Les administrateurs ont convenu que la lutte contre la corruption et l’amélioration de la gouvernance étaient essentiels pour renforcer l’efficacité des dépenses publiques et les perspectives de croissance “, fait savoir un communiqué du FMI.
Pour renforcer la transparence et la responsabilisation dans la gestion des ressources naturelles, les Administrateurs du FMI ont également appelé à la “mise en adjudication publique des actifs miniers, à la publication de tous les contrats miniers, à la divulgation de la propriété réelle des contractants et à la publication des états financiers vérifiés des entreprises d’État “
L’équilibrisme de Tshisekedi lasse
Alors pour arranger le terrain, à l’arrivée de Pompeo, Félix Tshisekedi, durant une visite à Londres, hausse le ton, menace cette fois de virer des ministres, mais également de dissoudre l’Assemblée nationale. Le message visible adressé aux Kabilistes, est finalement envoyé aux américains, dans le souci de s’activer finalement. Mais l’Amérique, tout comme Kabila, est fatiguée de l’équilibrisme du président.
D’un côté, les Kabilistes haussent le ton, menacent à leur tour Tshisekedi de « destitution ». Le menace résonne jusqu’à Washington, car entre-temps, une pluie violente s’abat sur Kinshasa, et décoiffe les tôles bleues qui cachaient l’évolution de la construction des saut-de-moutons, des éléphants blancs qui provoquent la colère des kinois. La polémique éclate et, avec elle, des accusations de corruption. Mais, pour une fois, aucun Kabiliste n’est cité. Des gens de Tshisekedi ont commis le forfait seuls. Le mot « corruption » naît pour la première, sans intervention de Kabila.
Aux Etats-Unis, le cocktail est suffisant pour jugement : Félix Tshisekedi n’est pas aussi prêt que Joao Lourenco de l’Angola, à lutter contre la « corruption ». La décision tombe. Mike Pompeo prend Félix Tshisekedi à contre-pied. Sans explication, du moins officielle. Pour faire passer le message, Mike Hammer obtient l’arrivée de Peter Pham à Kinshasa. Mais ce dernier ne vient pas avec des cadeaux. Une maigre signature de « mémorandum » d’investissement, promettant un milliard sans trop de détails. Mais devant les caméras, jamais des officiels n’ont été clairs : il faut lutter contre la corruption.
« Je viens dans le cadre de notre partenariat privilégier pour la paix et la prospérité que les USA ont commencé l’année dernière avec le nouvelles autorités congolaises. Nous continuons à venir dans ce pays parce que c’est engagement est important. Nous tenons à ce partenariat et dans ce cadre il faut écouter le partenaire. Je suis venu écouter le partenaire, le 1er ministre mais aussi de discuter de nos priorités. Ce sont des priorités tracées par le président. Il y a aussi la lutte contre la corruption qui est nécessaire pour l’amélioration du climat des affaires afin d’attirer les investisseurs », insiste Dr J. Peter Pham à l’issue d’une rencontre avec le premier ministre (Kabiliste).
« Honoré d’être reçu par Son Excellence Felix Tshisekedi pour réaffirmer notre partenariat privilégié avec une important accord d’investissement privé et savoir comment les USA peuvent aider la RDC à apporter la sécurité, à lutter contre la corruption et quiconque fait obstacle au changement », enfonce-t-il, cette fois dans un tweet.
Comme pour réagir, à l’aéroport international de N’djili, presque au même moment, Kalev Mutond, qui s’offrait quelques menaces à l’encontre du parti de Tshisekedi, est interpellé et auditionné par la même ANR sur qui il régnait jadis. La portée symbolique est immense à Kinshasa. Mais avant Mutond, Emmanuel Ramazani Shadary avait vécu la même situation, au même aéroport. Et la rumeur veut que la sœur-jumelle du président Kabila, Jaynet Kabila, ait vécue la même scène. Sauf que ces vas-et-viens ne ressemblent, ni aux yeux des américains, encore moins à Kinshasa, à une vraie lutte contre la corruption. Ils ressemblent de plus en plus à des hésitations ou une guerre de nerfs entre alliés, qui se testent et testent leurs limites.
Le temps de faire un choix
Une chose reste également incertaine : la dévotion de Félix Tshisekedi envers l’Amérique. La légende veut que le pays de l’Oncle Sam n’ait jamais été fidèle dans ses engagements et Joseph Kabila peut en témoigner dans l’oreille de Tshisekedi.
Pendant ce temps, il est aussi clair que « la lute contre la corruption » conduise Félix Tshisekedi à se séparer d’un autre allié de taille, en la personne de Vital Kamerhe, qui croule sous des soupçons pour son rôle de gestionnaire du programme de 100 jours. Car au Congo, loin de la conception américaine, Kabila ne symbolise pas à lui tout seul la corruption. Les alliés et même les membres du cabinet du président Tshisekedi ne sont non plus irréprochables.
Une telle chasse risque de chambouler la donne, pour un pouvoir qui ne maîtrise toujours pas tous les aspects. Surtout que jusque-là, Joseph Kabila, loin, depuis sa ferme à Kingakati, n’a jamais véritablement réagi… Rien n’indique qu’une alliance totale avec les Etats-Unis ne puissent garantir une réussite à Félix Tshisekedi, encore moins une tranquillité et une stabilité à la RDC.
Toutefois, la rue gronde. Le « peuple d’abord » tant attendu d’un pouvoir qui avait tout promis n’est toujours pas visible. Après un an de promesses, l’année de l’action doit commencer.
Mais elle n’aura lieu qu’en choisissant un camp, une lutte à mener. Entre Kabila et les Etats-Unis, Félix Tshisekedi ne peut plus continuer à jongler.
Ses deux courtisans s’impatientent. Du côté de Vital Kamerhe, les menaces à répétition ne passent plus. Martin Fayulu aussi, aux côtés d’autres opposants, commencent à se faire entendre, la situation est plus que grave. Bref, jamais, un après son arrivée Félix Tshisekedi n’a autant été placé dans une situation où il doit s’assumer.
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