FLUX MASSIFS DES DEUX KASAI VERS LE KATANGA ET LE LUALABA : DECRYPTAGE
Par Maître TSHISWAKA MASOKA Hubert, Avocat et défenseur des droits humains.
Lubumbashi, le 06 avril 2022
- INTRODUCTION
Le 27 mars 2022, au cours d’une émission télévisée présentée par Madame KIM KIMUNTU Paulette, les ressortissants du Kasaï ont été choqués par des propos de l’Honorable MUNONGO INAMIZI Dominique, «princesse» de la chefferie des Bayeke, haut cadre d’un parti politique et députée nationale de la circonscription de LUBUDI, Province du Lualaba, République Démocratique du Congo (RDC).
En effet, le premier choc du kasaien, vient de la question de Madame la journaliste de savoir si l’Honorable MUNONGO, comme bon nombre de katangais, soutenait encore l’idée de « sortir le Katanga de la RDC », elle avait répondu : OUI. Et d’ajouter, qu’elle assumait la politique de son défunt père MUNONGO M’SIRI Godefroid, ancien Ministre de l’intérieur du Katanga sécessionniste.
Le deuxième fait choquant est la stigmatisation des congolais venant du Kasaï qui devraient rester « chez eux ». « Ces gens qui mangent des chiens » et qui arrivent au Katanga, avec leurs coutumes.
Cependant, outre ces deux faits macabres, Madame l’Honorable MUNONGO a révélé aussi une préoccupation katangaise réelle : Pourquoi le Gouvernement ne vient pas au secours de ces gens qui bondent des trains-marchandises, dans des wagons à bétail, au risque de leurs vies, dans un contexte où l’institution Président de la République et des milliers des postes de prises des décisions au niveau national, sont occupés par d’autres ressortissants de ces mêmes provinces de Kasaï ?
Le présent papier constitue une opportunité d’analyser des faits sociologiquement et de proposer des pistes de solutions juridiques, conformément à la Constitution et aux droits humains. En plus de l’introduction, la conclusion est formulée sous forme d’interpellation des élites de ces deux provinces, avec un accent particulier sur celles du Kasaï. Le fond se subdivise en deux chapitres dont le premier est consacré à l’analyse des faits qui choquent les kasaiens et le deuxième examine le problème réel du katangais, posé autrement, en enlevant l’apparence désobligeante. - DES FAITS QUI CHOQUENT LES KASAIENS
Les propos de Mme MUNONGO sont condamnables, car, à ses titres et qualités, elle devrait connaître les droits et libertés garantis aux individus et groupe d’individus par les différentes coutumes de la République, la Constitution et les instruments juridiques internationaux des droits humains. Au regard de l’article 62 de la Constitution, « nul n’est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de la République ».
2.1. Par rapport à « sortir le Katanga de la RDC »
La RDC est un Etat régi par une Constitution qui inscrit le principe d’unicité et de l’indivisibilité de son territoire, à son article premier :
« La République Démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit, indépendant, souverain, UNI ET INDIVISIBLE, social, démocratique et laïc ».
Mme MUNONGO ne pouvait clamer publiquement qu’elle soutenait un projet, contraire à la Constitution, de sortir l’une des provinces de l’indivisibilité et l’unicité de l’Etat.
2.2. Par rapport à « ces gens devraient rester chez eux ».
Le quatrième alinéa de l’article 101 de la Constitution dit clairement que « le député national représente la nation ». Elle ne devrait pas distinguer des congolais de « chez nous » et ceux de « chez eux ». Par ailleurs, l’article 30 renchérit que :
« Toute personne qui se trouve sur le territoire national a le droit d’y circuler librement, d’y fixer sa résidence, de le quitter et d’y revenir, dans les conditions fixées par la loi ».
Par son article 60, la Constitution impose le respect des droits fondamentaux garantis à toute personne. Et, de manière particulière, l’article 66 lui rappelle que :
« Tout Congolais a le devoir de respecter et de traiter ses concitoyens sans discrimination aucune et d’entretenir avec eux des relations qui permettent de sauvegarder, de promouvoir et de renforcer l’unité nationale, le respect et la tolérance réciproques ».
Le discours, l’attitude et la politique soutenus par Mme MUNONGO, tendant à vouloir empêcher aux groupes d’individus de quitter le Kasaï, pour s’établir au
Katanga, est contraire à l’esprit du Constituant congolais qui protège les droits et les intérêts légitimes des Congolais et assure la coexistence pacifique et harmonieuse de tous les groupes ethniques du pays. (Articles 50 et 51, de la Constitution).
2.3. Par rapports aux coutumes
Mme MUNONGO se réfère aux us et coutumes de sa chefferie/groupement qui sont différents de ceux des ressortissants des deux provinces du Kasaï. L’article 207 de la Constitution qui reconnaît l’autorité coutumière et l’article 153 qui demande aux juridictions d’ordre judiciaire de considérer les coutumes, posent une seule condition que « celles-ci ne soit pas contraire à la Constitution, à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs ». L’esprit de l’article 207 impose au pouvoir coutumier « le devoir de promouvoir l’unité et la cohésion nationales ».
Stigmatiser des différences culturelles entre kasaiens et katangais, est contraire à la Constitution. Ce discours est inutilement méprisant, dégradant et discriminatoire. - DES FAITS QUI CHOQUENT LE KATANGAIS 3.1. Flux des déplacés du Kasaï vers le Katanga
Les flux des déplacés en provenance des deux Kasaï vers le Katanga, sont réels. Le Katanga est soumis aux modifications des cartographies politiques. Tenez ! La Constitution reconnaît à chaque citoyen les droits politiques d’être élu et/ou d’élire le dirigeant de son choix, partout où il établit sa résidence. Connaissant la subjectivité et les sensibilités politiques, le vote reste ethnique.
La croissance exponentielle de la communauté kasaienne au Katanga créent des craintes légitimes. L’électorat du politicien katangais s’amenuise au bénéfice de ses concurrents issus de l’espace grand Kasaï. Telle a été l’une des causes des pogroms des années 60 et 90.
3.2. Insécurité et perturbation de la circulation routière.
Les questions de la croissance de l’insécurité et de la perturbation de la circulation routière ne sont pas attribuables à la croissance de la population d’origine kasaienne. Elles relèvent de l’administration du territoire, du pouvoir judiciaire et des services de sécurité qui ont le monopole de l’usage de la force, dans l’accomplissement de leur devoir de maintenir l’ordre public et la sécurité territoriale. - INTERPELLATION DES ELITES
Il y a urgente nécessité d’une mobilisation de la nation, aux différents niveaux des institutions publiques et privées, des élites intellectuelles, culturelles, politiques, religieuses et toutes les autres organisations de la société civile. La compréhension collective des différents aspects de la problématique des flux internes permet d’amener des solutions pacifiques idoines, en temps opportuns.
La mauvaise gestion des mouvements internes peut conduire des puissances étrangères et entreprises multinationales à saisir l’opportunité de manipuler une partie de la population congolaise, pour leurs intérêts, au détriment de la paix et sécurité de la RDC.
4.1. Interpellation des élites du Kasaï
Les déplacements de la population du Kasaï vers le Katanga sont réels et s’effectuent dans des conditions indignes, inhumaines, humiliantes et dégradantes. Ils exposent les kasaiens aux intempéries et accidents mortels répétitifs dus aux mauvaises conditions des rails et locomotives. La population victime n’a de choix que d’aller chercher des circonstances propices à sa survie, contre sa volonté.
Economiquement, le départ du Kasaï amenuise les chances de relance économique. La main d’œuvre ouvrière, des chercheurs scientifiques et toute l’élite intellectuelle abandonnent ses territoires entre les mains des personnes qui n’ont aucun attachement ni intérêt à développer la terre kasaienne.
Politiquement, ces déplacements causent un déséquilibre démographique des nouvelles provinces issues des deux Kasaï. Ces nouvelles provinces perdent leur population et risquent d’avoir moins de sièges au parlement national.
Comment des milliers de politiciens kasaiens aux côtés du Président de la République, hier comme aujourd’hui, ne parviennent pas à estomper les flux des décriés ci-dessus.
Le questionnement actuel est de savoir comment « l’argent gagné honnêtement » ne permet que d’acheter des villas en occident, à Dubaï et en Afrique du Sud, sans jamais parvenir à l’accomplissement de l’argent des autres qui ont construit G’badolite, Kashamata, Kindu, Kashobwe ou Kingakati ?
Le leadership politique kasaien a le devoir de faire preuve de plus de responsabilité vis-à-vis de la population meurtrie qui fuit le Kasaï, avant de solliciter la solidarité nationale et internationale.
4.2. Interpellation des élites du Katanga
Rien ne sert à attiser la haine. Il convient que le leadership politique, religieux et de la société civile katangaise pense à s’associer aux kasaiens, afin de décuscuter des grands projets communs de développement harmonieux des deux provinces. Tels forums devraient inclure des questions des déplacés internes et leurs conséquences politiques, sociales, économiques et culturelles et examineraient des voies et moyens d’y remédier.
Une collaboration aiderait, non seulement, à trouver des solutions concertées et informées, en plus, elle effacerait l’orgueil des politiciens des deux parts qui se verraient interpellés par des recommandations à travailler ensemble. - CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
En dépit de l’émoi que cela puisse avoir soulevé et nonobstant la condamnable formulation de la problématique, l’Honorable MUNONGO INAMIZI Dominique a rouvert l’opportunité de discuter des causes de la haine couvant entre Katangais et Kasaiens, en exposant le pays au risque des pogroms.
L’analyse a démontré que les politiciens katangais redoutent plus les impacts probablement négatifs du déséquilibre démographique découlant des flux des déplacés internes sur les votes des dirigeants politiques du Katanga.
Mettant le sentiment de côté, il a été opportun de lancer un appel au secours de la population du Kasaï qui continue à subir des conséquences des années cumulées de mauvaise gestion de la chose publique et des pillages des biens de l’Etat, à l’initiative ou avec la complicité de ses dirigeants en province.
Les élites politiques kasaiennes ont le devoir de se ressaisir et agir en premier lieu, en ouvrant la porte au secteur privé, avant de solliciter toute autre forme de solidarité nationale ou internationale.
Des pistes de solutions, pouvant estomper ces flux, sont nombreuses. Elles relèvent, notamment, de la conception des politiques provinciales communes portant sur :
5.1. Répartition équitable des richesses de l’Etat
Premièrement, la répartition équitable ou la bonne redistribution des richesses nationales / ressources naturelles entre entités territoriales. L’Etat a le devoir de veiller à ce que l’entièreté de la population en jouisse, tel que l’article 58 de la Constitution le garantit : « Tous les Congolais ont le droit de jouir des richesses nationales. L’Etat a le devoir de les redistribuer équitablement et de garantir le droit au développement ». Chaque province a ses moyens économiques, humains et financiers. Il est du devoir primaire des pouvoirs publics de mieux s’organiser, afin de mieux répondre à ce devoir constitutionnel.
5.2. La création d’un cadre interprovincial de coordination des politiques communes
Deuxièmement, la Constitution prévoit, à son article 199 que :
« Deux ou plusieurs provinces peuvent, d’un commun accord, créer un cadre d’harmonisation et de coordination de leurs politiques respectives et gérer en commun certains services dont les attributions portent sur les matières relevant de leurs compétences ».
Cette disposition ouvre une brèche de collaboration entre les gouvernements, les assemblées et les services publics provinciaux des provinces directement affectées, issus des anciennes Kasaï-Oriental, Kasaï-Occidental et le Katanga.
Au-delà des institutions et services publics, les organisations de la société civile peuvent aussi développer des Think-Tanks interprovinciaux, pour aider les populations ainsi que les nouvelles provinces à contenir les flux des déplacés internes, dans le but de mettre fin aux déséquilibres qui s’amplifient entre les provinces.
5.3. La mobilisation des moyens financiers
Les moyens financiers d’une telle politique interprovinciale sont prévus à l’article 181 de la Constitution qui institue la caisse nationale de péréquation :
« Une Caisse nationale de péréquation. Elle est dotée de la personnalité juridique. La Caisse nationale de péréquation a pour mission de financer des projets et programmes d’investissement public, en vue d’assurer la solidarité nationale et de corriger le déséquilibre de développement entre les provinces et entre les autres entités territoriales décentralisées. Elle dispose d’un budget alimenté par le Trésor public à concurrence de dix pour cent de la totalité des recettes à caractère national revenant à l’Etat chaque année. Elle est placée sous la tutelle du Gouvernement. Une loi organique fixe son organisation et son fonctionnement ».
5.4. Proposition des nouvelles lois règlementant la vie des dirigeants
Afin de minimiser la fuite des fonds des provinces et leur investissement à l’étranger, la présente réflexion recommande des lois qui réglemente la vie des dirigeants :
- Ne peut être candidat à une quelconque représentation d’une contrée qu’une personne qui : (i) y vit en permanence avec sa famille, (ii) démontre son investissement culturel et matériel et (iii) continue à contribuer d’une façon ou d’une autre au développement socioéconomique du lieu.
- Pendant l’exercice d’un mandat public, l’agent, fonctionnaire ou sous-traitant de l’Etat n’est pas autorisé à se rendre à l’étranger pour des « soins appropriés », placer ses enfants aux études ou payer le loyer. L’exception sera accordée aux agents en mission d’Etat et au bénéficiaires des bourses d’études.
- L’investissement à l’étranger du fruit découlant d’un acte répréhensible, sera considérée comme une circonstance aggravante des peines prévues par la loi.
-FIN-
Rapporter par Roger AMANI et Junior LWAMBA