Qu’attendre des consultations annoncées le 23 octobre dernier par le président Félix Tshisekedi? La question hante les esprits autant qu’elle suscite des réactions mitigées dans l’opinion publique nationale et internationale. C’est en fin de compte le mercredi 25 novembre que les lampions du palais de la nation se sont éteints sur une de ces polémiques dont la classe politique congolaise est friande entre l’UDPS, parti du chef de l’Etat et le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme qui a permis à son prédécesseur Joseph Kabila de rafler la majorité aux élections législatives du 30 décembre 2018.
Mardi 24 novembre 2020 en fin de soirée, des membres du parti présidentiel avaient annoncé sur les réseaux sociaux que le FCC qui avait déclaré lors de sa retraite politique de Safari Beach à N’Sele qu’il ne rencontrerait le président que dans le cadre de l’accord de coalition le liant au Cap pour le changement (CACH) de ce dernier venait d’effectuer un virage à 180 degré et demandait à être aussi «consulté».
Les communicateurs de la présidence attribuaient au lobbying des émissaires africains comme l’ancien vice-président kenyan Stephen Kalonzo et européens comme l’envoyé spécial du président français Emmanuel Macron, Christophe Bigot, directeur Afrique au Quai d’Orsay, ce changement de position de la plateforme kabiliste. Les deux émissaires avaient été reçus respectivement par le président de la République et Joseph Kabila.
Des sources proches des deux leaders indiquent qu’ils ont échangé avec leurs interlocuteurs sur la crise entre les deux composantes de la coalition FCC-CACH au pouvoir en RDC qui a poussé le n° 1 congolais à lancer les consultations du palais de la nation. «La France a toujours été un fervent soutien de l’unité et de l’indépendance de la RDC», a déclaré Christophe Bigot après sa rencontre avec le chef de l’État Félix Antoine Tshisekedi avant de souligner en outre avoir par la même occasion, «longuement discuté avec le chef de l’Etat de la présidence de l’Union africaine que la RDC va exercer en 2021 avec ses nombreux défis, notamment la gestion de la crise de la pandémie de la Covid-19 et les différentes crises régionales. La France travaille, dans le cadre des relations entre l’Union africaine et l’Union européenne sur le financement des économies africaines».
Dans le même registre, le diplomate français a transmis au président Tshisekedi l’invitation lui adressée par le président Macron pour participer à un sommet ad hoc qui sera organisé au premier semestre 2021.
La plupart des interlocuteurs crédibles du président Tshisekedi, lui ont fortement recommandé de ne pas rompre la coalition issue des élections de 2018, fruit de la volonté du peuple congolais. Cela a été le cas notamment du Conseil national de suivi de l’Accord de la Saint Sylvestre et du processus électoral emmené par Joseph Olenghankoy, des membres des principales confessions religieuses comme les catholiques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), les protestants de l’Eglise du Christ au Congo et le représentant légal de l’église kimbaguiste.
Ensuite, par leur porte-parole Richard Muyej Mangez du Lualaba, les gouverneurs des provinces ont très diplomatiquement indiqué au président de la République qu’ils adhéraient à son idée de l’union sacrée de la nation pour autant que celle-ci «ne poursuive pas l’objectif de renforcer un camp contre un autre». Allusion à la tapageuse campagne anti-FCC menée tambour battant par des partisans du chef de l’Etat qui, à l’instar de Jean-Marc Kabund, le bouillant président a.i. de l’UDPS qui se répandaient en des discours incendiaires appelant carrément à «l’anéantissement des criminels du FCC et de leur chef Kabila que nous devons maintenant envoyer en exil». Même appel à l’apaisement de la part des présidents et rapporteurs des bureaux des Assemblées provinciales reçus parmi les derniers au palais de la nation qui, tout en déclarant soutenir la démarche du président de la République, lui ont demandé avec insistance de «prendre en compte les bénéfices de la coalition FCC-CACH lors de la mise en place de son initiative pour l’union sacrée de la nation», à en croire le président de l’Assemblée provinciale du Lualaba.
Francis Tshibalabala Mukunayi, vice-président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, a déclaré pour sa part que «le président de la République Félix Antoine Tshisekedi nous a présenté la situation de manière globale. Le problème, nous le savons tous, c’est qu’il y a un malaise au sein de la coalition CACH-FCC. Et nous en tant qu’Assemblée provinciale de la capitale Kinshasa, nous avons soutenu son initiative de l’union sacrée de la nation. Personnellement, je suis membre de l’UDPS. Il y a d’autres députés qui ne sont pas de l’UDPS. Pour nous, élus de l’UDPS, le maître mot c’est ‘’le Peuple d’abord”. Dès lors que la démarche du Président de la République en sa qualité de père de famille, va dans le sens de modifier son action au profit de la population, nous n’avons pas d’autres choix que de le soutenir mais nous avons aussi proposé au chef de considérer aussi les acquis de la coalition FCC-CACH qui sont dans l’intérêt de la population. Voilà notre proposition».
Représentées par 3 délégués, les délégués des Assemblées provinciales en ont profité pour présenter au président de la République les problèmes de fonctionnement de leurs institutions portant essentiellement sur les difficultés qu’éprouvent les instances délibérantes des provinces dans leurs relations avec leurs pouvoirs exécutifs respectifs. Des problèmes créés selon eux par les interférences devenues systémiques du vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur qui a pris l’habitude de prendre sous sa protection les gouverneurs faisant l’objet de procédures de contrôle de la part des assemblées provinciales en échange de leur recrutement dans sa formation politique, l’UDPS.
«Nous avons également présenté au président la situation catastrophique des finances au sein des Assemblées provinciales qui connaissent à l’heure actuelle neuf à dix mois mois d’arriérés aussi bien de rémunérations des élus que des frais de fonctionnement, ce qui ne permet pas de travailler dans des conditions optimales. Il a donné l’impression d’être attentif à nos revendications à cet égard et nous a promis de s’impliquer personnellement dans la recherche de solutions mais le fait qu’il ait banalisé les multiples violations de la constitution et de la loi sur la libre administration des provinces par le ministre de l’Intérieur du gouvernement central m’inquiète quant à la crédibilité de son engagement», a expliqué un élu provincial sous le sceau de l’anonymat.
Les membres du cabinet du chef de l’État et la plupart des caciques de l’UDPS qui communiquaient sur les consultations faisaient peu de mystère du projet attribué à Félix Tshisekedi de mettre en place unilatéralement un nouvel ordre politique. Des sources bien introduites révèlent que le cercle fermé du numéro un congolais est déjà à l’œuvre dans ce sens.
Dernière carte ratée
Pendant un mois, le président Tshisekedi a personnellement reçu différentes personnalités du monde politique et social de Kinshasa mais aussi quelques rares figures de l’arrière-pays. D’aucuns se sont vite rendu compte qu’il s’agissait surtout d’un exercice de catharsis plutôt que de partage de gâteau auxquels ils s’attendaient. L’idée de requalification hors élection de la majorité parlementaire aura été à cet égard un incontestable fiasco.
Le FCC, première cible de la démarche présidentielle, n’a pas répondu à l’appel, la majorité de ses élus nationaux ayant opté de rester fidèle à Joseph Kabila et de réserver une fin de non recevoir aux tentatives de débauchage. Même l’invitation adressée in fine par le protocole d’Etat aux têtes couronnées de la plateforme kabiliste en vue de l’anéantir en y introduisant le ver de la suspicion entre députés, sénateurs et leurs chefs de groupes n’a pas marché. La maladresse des stratèges du président de la République a contribué à embourber l’initiative de leur chef dans une voie sans issue. Invités comme regroupements politiques du FCC aux consultations par deux cartons anonymes à l’instar des associations de SDF racolées ci et là dans la capitale, les chefs de regroupements du front kabilistes ont répondu collectivement au chef de l’Etat en rappelant qu’en leur qualité de majorité parlementaire, partenaire attitré dans la gestion du pays, le FCC et son leader Kabila n’appréciaient guère de se voir ainsi conviés par «deux invitations anonymes, non signées et non scellées émanant de votre service de protocole (…) déposées à 11h20’ conviant aux consultations pour 15h00’ (…) les regroupements politiques du FCC, en lieu et place du FCC lui-même qui est la famille politique partenaire, partie à l’Accord de coalition».
Refus poli donc des partisans de Kabila qui, tout en réaffirmant leur «disponibilité à dialoguer avec le président de la République», lui ont indiqué que «considérant les résultats des dernières élections générales du 30 décembre 2018, ce dialogue (entre le président et la majorité parlementaire NDLR) ne pourrait se faire utilement que dans le cadre des structures et des mécanismes prévus par l’Accord de coalition majoritaire constituée à l’issue desdites élections».
Auparavant, des proches du chef de l’Etat avaient multiplié des quolibets en annonçant notamment que le FCC sollicitait lui-même une invitation. «On n’invite pas quelqu’un à un mariage en annonçant insidieusement aux autres invités que ce dernier était demandeur de l’invitation. Soit, on l’a fait pour la forme, soit dans le but de l’humilier tout simplement», a écrit à ce sujet le juriste Patrick Nkanga, un conseiller du premier ministre Ilunga Ilunkamba.
Une autre tentative de déstabiliser la plateforme de Kabila avait fait flop lundi 23 novembre 2020 lorsque le Conseil d’État, sollicité par un député de l’opposition appuyé par le CACH pour renverser la speaker Jeanine Mabunda de l’Assemblée nationale et tout son bureau a déclaré la démarche irrecevable.
Les lignes n’ont donc pas bougé en dépit du rétropédalage de dernière minute du président. L’analyste Alfred Maweni qui déplore le management approximatif des enjeux politiques au sommet de l’État estime à ce sujet que Félix Tshisekedi «a écorné son image dans l’opinion tant nationale qu’internationale» et que «seul son retour au schéma de la coalition FCC CACH pourra lui permettre de mettre un terme au blocage du pays et de répondre aux défis posés par la situation socio-économique du pays qui ne fait que s’empirer à la veille des festivités de fin d’année».
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