Politique : « L’habileté politique insoupçonnée » du président de RDC pour s’affranchir de l’influence de Kabila

Le président de la RDC Félix Tshisekedi vise une majorité parlementaire libérée de l’influence de son prédécesseur Joseph Kabila et a confié au sénateur Modeste Bahati Lukwebo la tâche de lui trouver. Voici le regard du chercheur à l’IRIS et ancien ambassadeur de la France en RDC Pierre Jacquemot.

Le 6 décembre dernier, le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi annonçait la fin de la coalition qu’il formait avec son prédécesseur Joseph Kabila. La fin d’une période de cohabitation difficile qui aura duré près de deux ans, après la passation de pouvoir entre les deux hommes en 2018 : première alternance pacifique dans le pays depuis l’indépendance de 1960.

Le divorce est donc consommé depuis le mois dernier, et pour reprendre définitivement la main, Félix Tshisekedi a confié une mission majeure au sénateur Modeste Bahati Loukwebo (homme d’affaires très proche de Joseph Kabila jusqu’à l’année dernière) : créer dans les trente jours une alliance majoritaire au parlement, en faveur du président en place. Ce dernier a été nommé au poste d' »informateur », qui consiste à trouver une majorité législative au Président.

Entretien avec Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS et ancien ambassadeur de France en RDC (de 2008 à 2011).


« Tshisekedi a réussi à retourner un certain nombre de personnalités politiques à son profit »

Que signifie cette nomination de Modeste Bahati Loukwebo comme « informateur » ?

Cela démontre d’abord une vraie habileté politique chez Tshisekedi, qu’on ne lui soupçonnait pas jusqu’à présent. 

« Il a été capable de retourner une situation qui lui était extrêmement défavorable depuis son élection en 2018. Il a tout simplement retourné une partie des parlementaires, mais aussi pratiquement tous les gouverneurs de régions qui étaient à la botte de l’ex-président Kabila. »


Jusqu’à présent, il était pieds et poings liés par un compromis politique obtenu après son élection – très controversée d’ailleurs – et un peu sous la coupe de Joseph Kabila, surtout sur les questions de politique intérieure. Et là, aujourd’hui, il semble qu’il se soit libéré de cette contrainte, en retournant un certain nombre de personnalités politiques à son profit. 

L’homme chargé de trouver une majorité au Président est lui-même un ancien fidèle de l’ex-président Kabila ?

Clairement : Modeste Bahati Loukwebo est un pur produit du système Kabila. Il avait même espéré un moment être son dauphin, puis être président du Sénat. Il n’a obtenu aucun de ces deux « postes », et donc probablement meurtri par ce manque de courtoisie politique de la part de Kabila, il s’est tourné vers son successeur. 

« Là, il est chargé de retourner définitivement au profit de Tshisekedi nombre de parlementaires, et d’entériner en quelque sorte le processus engagé depuis quelques mois. »

Il a un mandat d’un mois renouvelable, mais il mettra probablement plus de deux mois. On se souvient que pour former le premier gouvernement de Tshisekedi, il a fallu plus de six mois. Le temps n’est pas compté dans la vie politique de la République démocratique du Congo.

Comment marchent ces négociations pour constituer une nouvelle majorité ?

L' »informateur » est en réalité un conciliateur : c’est un poste qui est envisagé dans la constitution congolaise. En cas de blocage politique, lorsque le Président n’a pas de majorité, il peut nommer une personnalité qui va tenter de constituer cette majorité. 

« L’idée est clairement de « débaucher » : le mot est un peu vulgaire, mais malheureusement l’argent joue un rôle important dans le système politique de la République démocratique du Congo et depuis toujours, la promesse de postes, mais aussi de devises, font partie du jeu et sont très utilisés pour créer des alliances. « 

Cette mission nécessitera sûrement de remettre en cause le Premier ministre actuel, Sylvestre Ilunga, un fidèle de Kabila. Il lui faudra aussi tenter de rallier des personnalités importantes comme Martin Fayulu (qui revendique encore d’avoir gagné l’élection présidentielle, et il n’a peut être pas totalement tort sur le décompte des voix), Jean-Pierre Bemba (qui représente les provinces du nord) ou encore Moïse Katumbi (l’ancien gouverneur du Katanga et brillant homme d’affaires du secteur minier). 

« Lukwebo va donc utiliser toute la palette des moyens que l’on connaît dans la vie politique congolaise pour créer une nouvelle alliance majoritaire autour de Tshisekedi et de son programme. Un programme qui est d’ailleurs assez audacieux sur le plan de la politique intérieure, avec des objectifs d’éducation pour tous et de santé pour tous. »

La résolution du conflit à l’Est est aussi d’une gravité extrême. Presque chaque jour, on apprend des atrocités dans les régions de Kivu et de l’Ituri, qui sont à la frontière de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi.

Mediacongo.net/acturdc.com

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