Les fondements juridiques et politiques du registre d’appareils mobiles (RAM) en RDC : analyse conceptuelle et prospective du système

Depuis quelques jours, sur toute l’étendue du territoire national, on assiste à un feuilleton de manifestations de mécontentement de la population largement partagé au sujet de l’entrée en vigueur d’une taxe dite du registre des appareils mobiles. Cette taxe a été instaurée en 2020 par l’autorité de régulation des postes et des télécommunications (arrêté du 10 Juin 2020 C.E.I.R). 

L’objectif de ce registre serait de mettre en place un système permettant d’identifier tous les appareils mobiles utilisés en RDC pour lutter contre la contrefaçon et le vol. Par ailleurs, aucune explication n’a été donnée sur le lien qui pourrait exister entre un système qui lutte contre les infractions de droit commun et l’instauration d’une taxe parallèle. 

Plusieurs réflexions ont été avancées par les intellectuels congolais à ce sujet. D’aucuns ont conclu à l’inconstitutionnalité et à l’illégalité de la mesure, et d’autres soutiennent d’ores et déjà que cette taxe est une arnaque gouvernementale. 

Ce qui nous incite à apporter notre petite contribution à ce débat national qui relève bien évidemment de l’étendue de nos compétences scientifiques. 

A cet effet, plusieurs points méritent d’être développés dans cet article : Les clés de la fiscalité permettant d’arpenter les notions essentielles pour donner aux lecteurs une bonne compréhension conceptuelle du sujet (1), la question de la prétendue inconstitutionnalité de cette taxe (2), les bienfaits de cette réforme (3), et une conclusion sera nécessaire pour mettre en lumière notre position (4)

1. Les clés de la fiscalité 

C’est une invitation à un long périple qui est ainsi lancée, à partir de la notion de fiscalité. Mais dans un article d’opinion, point n’est besoin d’enseigner le droit fiscal. Il ne sera donc question que de mettre en  perspective quelques notions de base dans le but de les placer dans leur contexte pour mieux en évaluer l’importance et en dégager  la porté. 

Le terme fiscalité désigne l’ensemble de réglementations concernant les impôts. (1)

Le substantif impôt et le verbe imposer expriment on ne peut mieux le poids de la contrainte qui s’abat sur le redevable. Sous la deuxième république (Zaïre), le terme employé était contribution, qui suggère davantage une participation du citoyen au fardeau commun de la dépense publique.

Aujourd’hui l’impôt peut être défini comme une prestation pécuniaire requise autoritairement des assujettis selon leurs facultés contributives par l’État, les collectivités territoriales et certains établissements publics, à titre définitif et sans contrepartie identifiable, en vue de couvrir les charges publiques ou d’intervenir dans le domaine économique et social. (2)

Il sera souvent distingué de la taxe qui s’analyse comme un prélèvement tout aussi obligatoire mais perçue à l’occasion d’une prestation d’un service par la collectivité publique. Cette distinction est aujourd’hui dépourvue de porté pratique, le législateur ayant contribué à brouiller les concepts par des dénominations peu rigoureuses. 

La taxe doit être distinguée de la redevance, qui est le prix d’un service rendu par une entité publique au client qui en fait la demande. Elle se distingue par son mode de création réglementaire et par le fait qu’elle est en principe proportionnelle au service rendu. Ce qui n’est pas le cas de la taxe. (3)

Ce bref aperçu de notions essentielles du sujet nous permet de comprendre que le RAM n’est pas un impôt, mais qu’il s’agit d’une  taxe, en ce qu’il ne s’impose qu’aux utilisateurs de certains appareils identifiés, lesquels utilisateurs ne sont pas obligés de se faire enregistrer et d’utiliser les appareils mobiles en question pour être assujettis . 

C’est sur cette notre qu’il conviendra de passer à l’étude de la constitutionnalité et de la légalité de cette taxe.

2. Le prélèvement instauré par registre des appareils mobiles (RAM) est-il  inconstitutionnel et/ou illégal?

D’après l’article 174 de la constitution : Il ne peut être établi d’impôt que par la loi. La question est de savoir si la taxe dite du RAM est un impôt. Eh bien non. On l’a vu, cette taxe n’est pas un impôt et à ce titre, elle n’a pas besoin d’être instaurée par une loi pour être valable. De ce fait, il apparaît clairement que cette taxe ne viole aucune disposition constitutionnelle. 

S’agissant de sa légalité, un texte particulier mérite d’être évoqué, il s’agit de l’ordonnance n°20/017 du  27 mars 2020 fixant les attributions des ministères. En son article 1er point 23, le texte précise que l’élaboration et la mise œuvre des règlements d’administration et de police relatifs aux télécommunications et fixations des taxes y relatives, y compris les amandes transactionnelles sont des matières relevant de la compétence du ministère des postes, télécommunications et nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ce qui met fin à ce débat. Voyons à présent les avantages que présente cette taxe sur le plan économique et social. 

3. Les vertus économiques et sociales de la taxe dite du RAM

La fiscalité congolaise souffre d’une image négative, pour le contribuable, c’est un pan de l’activité publique subi comme une contrainte parce qu’il incarne l’idée que les responsables politiques spoliateurs, puisent dans les poches de populations démunies un argent que celles-ci ont péniblement gagné et dûment mérité. 

Cette perspective est exacte puisqu’elle est ressentie à juste titre au regard de la situation économique du pays. Toutefois, l’honnêteté intellectuelle et l’envie de comprendre obligent à dépasser cette approche. 

Comme l’avait déclaré Franklin ROOSEVELT, « les impôts sont les cotisations que nous payons pour jouir des privilèges de la participation à une une société organisée ». Ces privilèges incluent notamment le droit de tenir le gouvernement responsable de ses actes, et ce droit est d’autant plus fort que le gouvernement dépense l’argent des contribuables, et non celui des donneurs.(4) 

Les populations ont donc le devoir de veiller à ce que l’argent qu’elles donnent à l’État par les impôts qu’elles acquittent  serve à subvenir aux besoins d’intérêt général. 

Conclusion

Aujourd’hui en République démocratique du Congo, les revenus fiscaux sont très faibles du fait notamment que très peu de congolais sont assujettis à l’impôt. 

Lors d’une interview qu’il avait accordée à la radio France internationale en septembre 2017, le  professeur KOLA GONZE indiquait que nous sommes un pays de 70 à 80 millions d’habitants, mais le répertoire de contribuables ne dépasse pas 200. 000 personnes physiques et morales. Ce constat malheureux nous amène à penser que la solution se trouve dans l’élargissement de l’assiette fiscale et dans la réduction des taux d’impositions qui obèrent l’investissement moteur de la la croissance. 

Pour nous, cette taxe dite du RAM n’est pas un outil de répression de la contrefaçon car, l’instauration d’une taxe ne vise pas à réprimer un comportement infractionnel mais à donner à l’État les moyens de  la politique publique . « Il y a des charges, il faut les couvrir » disait Gaston Jèse.  Elle permettra à l’Etat d’augmenter sa pression  fiscale pour atteindre ses assignations budgétaires dans un contexte économique où la mobilisation des recettes est cœur de préoccupations des pouvoirs publics. 

Par OKUNDJI KASONGO Paty, Avocat et Chercheur en fiscalité et finances publiques à l’EHESS

Actualite.CD/acturdc.com

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