Le procès Matata ou la bataille entre le « droit politique » et « le bon droit »

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Ce que je pense est que le procès Matata sur le projet Bukanga Lonzo aura été en réalité une bataille du droit entre le Parquet général près la Cour constitutionnelle dirigé par monsieur Jean-Paul Mukolo et la Cour constitutionnelle conduite par son Juge président monsieur Dieudonné Kaluba. Le premier est un magistrat de carrière avec 35 ans d’expérience ; il est chef des travaux à la faculté de droit à l’Université de Kinshasa. Le second est un brillant avocat de carrière avec plus de trente ans d’expérience ; il est en même temps professeur de droit public dans la même université.

Le pugilat judiciaire entre le Parquet général et la Cour constitutionnelle s’est clôturé le 15 novembre dernier sous l’arrêt RP 0001, par lequel la Cour s’est déclarée incompétente de juger l’ancien Premier ministre et ses co-accusés, au grand étonnement de l’opinion tant nationale qu’internationale. En effet, presque tout le monde était d’avis que le match était joué d’avance et que le score était bien connu. Qu’il pleuve ou qu’il neige, monsieur Matata allait être condamné et jeté en prison pour plusieurs années, comme c’était le cas pour Vital Kamerhe. 

Les prémisses de base de cette conclusion se fondaient sur le fait que la justice congolaise n’est pas totalement indépendante et qu’elle obéit souvent aux ordres du pouvoir politique. De ce fait, la plupart des gens pensaient que les poursuites judiciaires contre monsieur Matata étaient téléguidées, à la suite d’une procédure enclenchée contre ce dernier de manière cavalière, en des textes constitutionnels et légal, aboutissant à une saisine de la Cour au forceps, car les bases juridiques pouvant justifier la saisine de cette dernière n’étaient pas évidentes. Si tel était le cas, ni le Procureur général, ni le président de la Cour, personne n’aurait eu la liberté de se soustraire d’injonctions d’en haut.  

Ce que je pense est que cette perception n’était pas nécessairement fausse. Parce que la façon dont le Procureur général s’est engagé pour obtenir coûte que coûte l’autorisation des poursuites contre monsieur Matata ne faisait l’ombre d’aucun doute qu’il s’agissait d’une démarche politique. En effet, personne ne pouvait s’imaginer qu’un haut magistrat de carrière à la tête d’un Parquet général composé de neuf haut magistrats, puisse se tromper trois fois de suite en trois semaines, pour trouver la voie légale de traduire en justice un ancien Premier ministre, devenu sénateur, pour des faits qu’il aurait commis dans ou à l’occasion de l’exercice des fonctions de Premier ministre. Tantôt, il fallait passer par le Congrès, tantôt par l’Assemblée nationale et le Sénat, tantôt enfin, par le Sénat. Cette perception s’est davantage renforcée lorsque, face au refus de la plénière du sénat d’autoriser les poursuites à l’encontre du sénateur Matata, le Procureur général s’est résolu d’introduire auprès du Bureau du Sénat, deux semaines après, un quatrième réquisitoire sur base d’un dossier monté à la hâte sur les « biens zaïrianisés », toujours dans l’objectif darracher le feu vert de la chambre haute. Ce dossier s’est révélé vide et devrait être classé sans suite. Le Procureur général s’en était même excusé en demandant pardon à l’accusé.

Ce que je pense est que le procès Matata aura révélé au grand jour les limites d’indépendance des institutions politiques et de la séparation des pouvoirs dans un pays en développement. En effet, ayant échoué par la voie de la Plénière, le Procureur général près la Cour constitutionnelle s’est mis en intelligence avec le Président du Sénat pour contourner le droit. Comme la si bien dévoilé le premier avocat général Mokola Pikpa lors du procès, le Parquet général a attendu que le Sénat entre en vacances parlementaires pour introduire son réquisitoire afin d’obtenir le résultat recherché auprès du Bureau composé de sept membres, en lieu et place de la Plénière avec ses cent et neuf sénateurs. Ainsi, le Sénat, déjà en session extraordinaire à partir du 15 juin pour un mois et ce, conformément à la Constitution, s’est vu brusquement mis en congé factice le 28 juin, au grand étonnement de la plupart des sénateurs. Et, curieusement, le Parquet général, informé par quelle magie, a su déposer son réquisitoire quelques minutes après la fermeture inattendue du sénat à 18:30. Ce qui dénote une collusion manifeste entre deux grandes institutions du pays pour tordre le cou au droit et violer le principe sacro-saint d’indépendance des pouvoirs devant garantir l’état de droit. Qui pouvait l’imaginer ! 

Ce que je pense est que le procès Matata aura permis aux scientifiques et professionnels du développement de comprendre davantage la complexité de grands enjeux du développement économique qui font penser à certains afro-pessimistes que certains pays du Tiers-monde ne se développeront jamais. À l’instar d’Haïti (avec 216 ans d’indépendance) et du Libéria (avec 199 ans d’indépendance) qui tardent à prendre le chemin de l’émergence économique. En effet, le progrès économique procède absolument de l’initiation et de l’exécution de grands projets qui tranchent drastiquement avec le passé et le présent complaisants et compromettants. Tel est le cas de ce projet pilote du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo qui visait l’autosuffisance alimentaire du pays au travers de la révolution agricole comme elle a eu lieu vers les années 40 dans les pays dits développés ou dans certaines économies émergentes dans les années 70. Un tel projet, vu sa grandeur prospective, requiert la rupture avec les méthodes archaïques, ataviques et l’adoption des techniques modernes de culture devant booster le rendement agricole et mettre un terme à l’importation honteuse et injustifiée des denrées alimentaires. Cela suppose un leadership fort et clairvoyant capable de vaincre les pesanteurs socio-politiques d’une classe politique blasée, égoïste, et soumise aux diktats de grands importateurs des produits de base, et capable de marchander ce type de programmes innovateurs et salvateurs pour la population contre des avantages personnels.

Ce que je pense est que jamais la constitution et les lois du pays n’ont été aussi violées par l’un de plus hauts magistrats du pays à l’endroit d’un sénateur et ancien Premier ministre. En effet, nul ne peut être jugé que par son juge naturel ; Matata a été amené à la Cour constitutionnelle, juge du Premier ministre en fonction alors qu’il est Premier ministre honoraire. Nul ne peut être jugé que conformément aux procédures établies par la loi ; presque toutes les procédures ont été bafouées pour juger monsieur Matata.  Nul ne peut être jugé sans être entendu par le parquet général compétent. Matata a été jugé sans avoir été entendu sur le dossier Bukanga Lonzo. Aucun sénateur ne peut être jugé sans l’autorisation préalable du Sénat. Matata a été jugé avec le refus catégorique du Sénat. Aucun député ou sénateur ne peut être entendu par la justice sans l’autorisation préalable de l’Assemblée nationale. Des députés et sénateurs ont été entendus sans accord et à l’insu du parlement pour témoigner contre Matata ; et sans que le parlement s’en émeuve. Heureusement que les juges de la Cour constitutionnelle, garants des droits et libertés fondamentaux des citoyens, ont démontré que la Constitution et les lois du pays ont été violées et que le processus devait s’arrêter là pour sauver l’honneur de la République. La « force du droit » a triomphé sur le « droit de la force » ou le « droit politique ».

Ce que je pense est que le message de la Cour constitutionnelle contenu dans son prononcé du 15 novembre dernier sur le dossier Bukanga Lonzo aura été bel et bien entendu et compris par les magistrats de toutes les juridictions judiciaires du pays ainsi que les institutions politiques du pays. Ceci en vue d’éviter pour la nième fois une violation systématique de la Constitution et des lois du pays comme il en a été le cas au Parquet général près la Cour constitutionnelle pendant près de six mois. En effet, selon plusieurs spécialistes en droit constitutionnel, la meilleure interprétation du droit a été faite par la Haute Cour dans son prononcé : le juge naturel d’un ancien Premier ministre est différent du juge naturel d’un sénateur. La Cour de cassation est la juridiction compétente pour juger un sénateur pour les infractions commises durant l’exercice de ses fonctions. La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente pour juger un Président de la République et le Premier ministre en fonction. Si le constituant, par une loi spécifique, a prévu le juge naturel d’un ancien Président de la République ou Président de la République honoraire, il ne l’a pas fait pour le Premier ministre honoraire. Le constituant se doit donc de légiférer sur ce cas en vue de combler le vide juridique actuel. Chercher à imposer un juge naturel à un justiciable est une violation de la Constitution et des lois du pays qui ne peut être acceptée dans un Etat de droit. Parce que ce n’est pas du « bon droit ». C’est du « droit politique ».

Kinshasa, le 26 novembre 2021/actualité.cd

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