Culture : Eddy Masumbuku, à l’origine du librisme dans l’art contemporain congolais

Sur l’affiche de son talk au Centre d’art Waza de Lubumbashi et dans la vie de tous les jours, Eddy Masumbuku attire le regard d’un seul coup d’œil : une cravate et un gilet conçus par des bouts de morceaux de bambous, il est coiffé d’un chapeau fait de même matériels. Il en a fait sa marque de fabrique, en route on l’appelle « chef coutumier », un titre qu’il a fini par accepter.

Rencontre, lors d’un atelier du projet Kirata, avec un esprit singulier et pionnier dans l’art contemporain en RDC.

Aux origines du librisme

La fin du 20e siècle a apporté son lot de bouleversements politiques, économiques et sociaux dans l’histoire de la RDC, mais pas que. En 1996, un groupe des jeunes artistes, la plupart anciens de l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa, créait un mouvement artistique qui cassait le code de la création classique et académique : le librisme. C’était « une quête de l’identité personnelle pour permettre à l’artiste de créer des objets artistiques et utilitaires », se souvient Eddy Masumbuku. Certains professeurs, dont MM. Musangi et Badibanga Nimwinyi, soutiendront ces « libristes » à leur début.

Une année plus tard, le jeune Eddy expose ses œuvres pour la première fois à Kinshasa, le même jour que la prise de Kisangani par les soldats de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila. La courte et intense histoire du librisme restera intimement liée à cette page de l’histoire du Congo. « La naissance du librisme à l’arrivée de la guerre de la libération est une pure coïncidence, explique l’artiste au menton couvert d’une barbe grisonnante, l’art réside dans le changement, partout au monde ».

« C’est au premier regard une déconcertante, écrivait Mireille Chaboteau, en découvrant l’expo de Eddy Masumbuku en 2001. Le peintre fait passer sans cesse ses messages. » L’ethnologue et amatrice d’art française détaillait l’œuvre de Eddy comme « la genèse d’une émotion en mouvement. Une émotion destructrice. »

Les cinq artistes qui composent le courant libriste introduisent de nouvelles pratiques dans l’expression de leur art, notamment la performance. « Je suis le premier artiste à introduire la performance dans l’art au Congo », se félicite Eddy, qui avoue avoir recouru au professeur Badibanga pour nommer la pratique qu’il ajoutait à ses expos. Les libristes s’éloignent de l’esthétique et de l’art décoratif vers un « art de la pensée », qui s’éteindra petit à petit fin 2001, quelques mois après l’assassinat de Mzee Kabila et une dernière exposition à la Foire internationale de Kinshasa (Fikin).

L’héritage du courant libriste

Les artistes libristes ont prôné la liberté de pensée, sans se revendiquer comme un groupe avec une quelconque quête commune. « Il n’y avait aucun meilleur moyen de s’inspirer que de voir ce que les autres faisaient pour sa propre inspiration », se souvient l’artiste, « nous n’étions pas un collectif, mais un courant de pensée ». Une critique de 1973 qui estimait que « l’art congolais avait un retard de 50 ans », a aiguisé l’envie revancharde des artistes. Ils sont les premiers à introduire la vidéo et la performance dans la pratique des artistes contemporains au Congo.

Le courant libriste a ouvert la voie à une génération d’artistes contemporains, dont certains sont devenus icônes aujourd’hui. C’est le cas de Vitshois Mwilambwe, fondateur de Kin Art Studio et à l’initiative de Congo Biennale à Kinshasa. « Nous avons réussi », se félicité M. Masumbuku, « le librisme est aujourd’hui enseigné à l’Académie des Beaux-arts, la performance et l’utilisation des vidéos sont devenues des moyens d’expression dans l’art au Congo. » En parlant de la turbulente relation qui a existé entre l’Académie des Beaux-arts et les libristes, M. Vitshois estime que la paix est revenue entre toutes les parties.

Eddy Masumbuku considère que « sans le bambou, je me sens malade ». Il s’identifie à ce modèle singulier d’accoutrement, pionnier des performances des sapeurs en RDC. Son style qui lui offre le surnom de « Chef coutumier » a ouvert l’artiste à des rencontres entre l’Europe et des voyages en Afrique. Aujourd’hui, Eddy Masumbuku s’est orienté vers une autre pensée, le « fouillisme ». Pour lui, il s’agit de « l’effort intellectuel soutenant tout ce qui fait avancer la civilisation », et un « reflet de l’imagination nourrit par la recherche permanente ». La création toujours.

Iragi Elisha

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