Appel à l’aide internationale et réformes urgentes au niveau national.
On attendait de lui juste un message très circonstanciel par ces temps de coronavirus. C’est chose faite. Adolphe Muzito est naturellement, non seulement préoccupé par la pandémie, mais surtout attristé par le nombre chaque jour croissant des Congolais atteints par le virus. Il déclare être de coeur avec ceux de ses compatriotes touchés d’une façon ou d’une autre par le Covid-19. Mais le président sortant de Lamuka sort de sentiers battus.
Il va bien au-delà du conventionnel, et donc du rituel dans sa manière de réagir au tsunami estampillé coronavirus. Economiste de haut vol, doublé de dialecticien, le leader de Nouvel élan place la crise liée au Covid-19 dans le cadre de la problématique générale de la « faillite » de l’Etat rd congolais. Comme thérapie, le n°1 de Nouvel Elan en appelle à un élan de solidarité nationale et à l’aide internationale. Le tout sur fond de réformes urgentes au niveau de la gouvernance. Pour le « Dr Muzito », ce remède passe par un consensus entre la « majorité populaire » telle qu’elle s’est dégagée lors des élections de décembre 2018 et la « minorité au pouvoir ». Cela s’appelle une approche holistique : Voici l’intégralité de la tribune de l’ancien Premier ministre. La 23ème du genre.
La pandémie du Covid-19 face à un Etat en faillite
I. Problématique : L’heure de vérité a sonné pour la RDC!
La crise de la pandémie du COVID-19 pose à la RDC trois problèmes. Le premier est celui de protéger l’homme. Le deuxième est celui de sortir le pays de son état actuel de faillite en vue de résoudre le troisième à savoir, se mettre en capacité de soutenir son économie qui va bientôt entrer en récession.
Dans ses deux dernières déclarations sur la crise sanitaire qui menace la vie des populations en République démocratique du Congo, Monsieur Félix Tshisekedi, Président de facto, a préconisé des recommandations que devraient observer les populations et les acteurs sociaux.
Dans la foulée, il a cependant omis d’édicter les mesures et les réformes que devraient mettre en application son gouvernement, pour faire lui-même face à la crise sanitaire et à ses effets collatéraux.
Mais au-déla des mesures envisagées, la crise sanitaire actuelle met en évidence le problème de fond auquel le pays fait face, celui de la faillite de l’Etat congolais. Un Etat qui se trouve dans l’incapacité de doter le pays d’infrastructures de base, en particulier dans le secteur de la santé ; infrastructures sur lesquelles devraient normalement reposer les mesures de lutte contre les maladies et autres calamités naturelles.
MOINS DE 50 RESPIRATEURS EN RDC
Si on en croit les spécialistes, la RDC, pays aux dimensions continentales, n’est doté que de moins de cinquante respirateurs pour prendre en charge efficacement les malades en détresse respiratoire. Bien plus, le pays ne dispose que de 250 hôpitaux généraux de référence sur 600 zones de santé ; des hôpitaux bien souvent sous-équipés, pas du tout pourvus en produits médicaux de qualité et dont les soins offerts demeurent largement hors de portée de la population.
La situation est plus alarmante dans l’arrière-pays, en raison de l’insuffisance et de la mauvaise qualité des routes. Ce qui rend difficile l’accès aux hôpitaux et autres centres de santé.
Sur un réseau routier théorique de 152.000 km dont dispose la RDC, comprenant 58.000 km de Réseau Routier d’Intérêt Général et 86.500 km de routes locales et agricoles, seuls 15 000 Km de ce réseau sont en état bon et moyen, et 3.126 Km de routes sont bitumées. Pour ne parler que de ces cas !
Mais à ces problèmes structurels, s’ajoute celui de l’absence de marge de manœuvre du Gouvernement de Monsieur Tshisekedi, pour apporter une réponse financière adéquate à la prise en charge des malades de Covid-19, à l’approvisionnement de grandes villes en biens de première nécessité durant cette période de crise et à l’atténuation des effets de cette crise sanitaire sur l’économie nationale.
FATSHI:520 MILLIONS USD DE DEFICIT EN 2019 !
Le Gouvernement de Monsieur Tshisekedi ne fait qu’accumuler des déficits dans la gestion des finances publiques depuis plus d’une année de pouvoir. En 2019, la première année de sa mandature, l’exécution des opérations financières de l’Etat s’est clôturée avec un déficit de 520 millions de dollars US.
L’année 2020 a débuté sur la même base : 80 millions US de déficit en janvier et 100 millions de dollars US de déficit en février. Le mois de mars semble sur la même lancée !
L’essentiel des dépenses publiques est consacré à la rémunération et au fonctionnement de l’Etat. Sur des recettes de l’ordre de 1.869 milliards de Francs attendues au premier trimestre 2020, 1.111,4 milliards de FC, soit environ 60%, sont consacrés aux salaires contre une norme de 35% en la matière.
L’ETAT EN ETAT DE CESSATION DES PAIEMENTS
Sur le front extérieur, le pays ne dispose pas de réserves de change suffisantes pour, non seulement couvrir durablement les besoins du pays en importation des biens, mais aussi, pour faire face aux tensions inéluctables sur le taux de change.
Au 31 janvier 2020, les réserves internationales sont évaluées à 792,2 millions de dollars américains, ce qui représente une couverture d’à peine trois semaines d’importations contre une norme de trois mois en la matière.
En un mot comme en mille, il n’est pas exagéré d’affirmer que l’Etat congolais est en état de cessation de paiement et qu’il est en incapacité de faire face à la crise sanitaire et de remplir son rôle régalien d’Etat-providence pour soutenir l’économie qui va bientôt entrer en récession.
En effet, l’Etat congolais, avec son budget de 11 milliards de dollars US en 2020, réduit à 5,5 milliards en ressources propres, par le plan de trésorerie édicté par le ministère des Finances, est aujourd’hui en dépôt de bilan. Il est de fait, en incapacité de faire face à la crise sanitaire et à remplir son rôle régalien et d’Etat-providence, pour soutenir l’économie qui va bientôt entrer en récession. En réalité, avec le budget 2020 réduit à 5,5 milliards US, le niveau mensuel de recettes s’élève en moyenne à 450 millions.
Il est en situation de ne couvrir que :
– 300 millions US d’enveloppe salariale du personnel du secteur public
– 150 millions pour : le minimum de fonctionnement de l’Etat, rétrocession aux régies financières, les remboursements des avances de la Banque Centrale (500 millions US).
– Comme on le voit, le gouvernement va se retrouver dans une impasse qui va l’obliger à creuser le déficit comme en 2019 (500 millions US) et en janvier et février 2020 avec un déficit mensuel de 100 millions de dollars US.
QUE FAIRE ? QUELS BESOINS COUVRIR? QUEL FINANCEMENT MOBILISER?
Beaucoup d’experts proposent des coupes budgétaires pour dégager des économies à affecter à la crise, d’autres proposent de geler le paiement de service de la dette extérieure.
Cette vision repose sur une approche restrictive, minimaliste et moins ambitieuse pour la nation. Elle est sectorielle et s’inscrit dans le court terme.
Elle fait l’impasse sur la situation de faillite de l’Etat à court, à moyen et à long terme. Je propose plutôt une approche globale, ambitieuse qui s’inscrit dans le court et moyen terme. Elle repose sur l’appel à l’aide internationale mais aussi sur les réformes urgentes à mettre en place au niveau national.
II. BESOINS DE FINANCEMENT
L’examen des comptes publics de l’Etat congolais permet de dégager les déficits et les besoins de financements correspondants ci-après :
A court terme :
– riposte à la pandémie : 150 millions de USD ;
– résorption du déficit cumulé du trésor public fin 2019 : 500 millions USD ;
– résorption des déficits prévisionnels du trésor du plan de trésorerie 2020 :
1,2 milliards (100 millions $/mois au premier trimestre) ;
– paiement des arriérés des salaires du personnel de l’Etat: 500 millions de USD;
– coût de la mécanisation de 500.000 agents mécanisés, mais non payés : 600 millions de USD ;
– TVA à rembourser aux miniers : 1. 500 millions de USD ;
– Financement de la recapitalisation de la Banque Centrale : 2.000 millions de USD ;
– Paiement des créances des entreprises publiques (SNEL, REGIDESO, ONATRA…) : 1.750 millions de USD ;
– Paiement des arriérés rétrocession aux provinces : 550 millions de USD ;
– Financement des réformes : 300 millions de USD.
A Moyen et long terme :
Le financement des infrastructures devrait être le socle du programme de redressement du pays. Cela concerne, notamment, les hôpitaux et autres centres médicaux, les centres de formation médicale, les routes, les chemins de fer, les barrages… pour un montant estimatif de 20 milliards de USD.
Face à l’ampleur des besoins de financement, les coupes budgétaires dans le budget de l’Etat tel que le préconisent certains ne serviront pas à répondre à la riposte au covid-19. Les maigres économies attendues à la suite de la réduction du train de vie de l’Etat, de la taille du gouvernement, du non- paiement des échéances du service de la dette extérieure, serviront à la rigueur à réduire le déficit public.
III. PLAN D’AIDE INTERNATIONALE POUR LA RDC
L’objectif du plan, décliné dans le court, moyen et long terme, est triple. Il s’agit de :
Primo : financer dans le court terme la riposte au COVID-19 en vue de l’acquisition des produits, matériels et équipements requis dont les respirateurs et les matériels de test. Il s’agit également de financer l’assistance technique pour le renforcement des capacités du personnel dédié à cette lutte sur l’ensemble des zones de santé ;
Secundo : financer dans le moyen terme la réhabilitation, la construction et l’équipement des infrastructures de base, en particulier dans le secteur de la santé et de la formation sanitaire ;
Tertio : financer les réformes visant, à long terme, la diversification de l’économie congolaise pour la rendre plus résiliente en cas de chocs exogènes au bien des maladies et autres pandémies devenues récurrentes, que des prix des matières premières et tensions sécuritaires.
Il s’agit donc pour les pouvoirs publics de faire un plaidoyer auprès des institutions et organismes internationaux susceptibles d’apporter ce type d’appui aux pays fragiles, particulièrement vulnérables aux chocs exogènes.
Les pays amis de la République Démocratique du Congo peuvent également être mobilisés pour apporter leurs appuis à une telle initiative.
IV. MESURES ET REFORMES STRUCTURELLES URGENTES AU PLAN NATIONAL
La mobilisation de l’aide internationale préconisée devrait se faire parallèlement aux mesures urgentes que le pays doit mettre en place. Il s’agit :
– pour lutter contre la maladie, outre les gestes-barrière et l’isolement de la ville de Kinshasa pour limiter la propagation de la pandémie, augmenter le nombre d’hôpitaux et centres de santé susceptibles d’assurer la prise en charge des malades, en vue de rapprocher davantage la population cible à ces lieux de traitement. Elargir le nombre de tests aux différents contacts des malades, en particulier dans les communes les plus touchées ;
– pour la gouvernance financière du pays, améliorer la transparence et la bonne gestion des finances publiques en vue de réduire le déficit budgétaire actuel et, par ricochet, les pressions que cela devrait exercer in fine, sur le taux de change et les prix des biens et services. Cela suppose en priorité la réduction du train de vie de l’Etat pour dégager des économies budgétaires et résorber la surliquidité inhérente aux déficits budgétaires accumulés jusque-là. Cela suppose aussi notamment, le respect des procédures et du circuit d’exécution de la dépense publique, de la passation des marchés publics, la maitrise des effectifs et de la masse salariale, le gel des recrutements et des mécanisations abusifs des agents de l’Etat ;
– améliorer la mobilisation des ressources, travailler sur la recherche des ressources internes exceptionnelles, considérant le contexte économique morose dans lequel le pays devrait progressivement s’installer. Il est question d’envisager entre autres la possibilité de procéder, en toute transparence, à la cession des actifs de certaines entreprises publiques démembrées ou redimensionnées et de certains actifs miniers ou forestiers ;
– recourir à l’endettement, en activant divers mécanismes de financement des infrastructures, et exploiter au mieux la marge dont le pays dispose attestée par des faibles ratios de la dette publique ;
– redéployer les priorités budgétaires, pour focaliser l’action du Gouvernement sur la lutte contre la pandémie Covid 19 ; et ce, à travers une loi de finances rectificative pour l’exercice 2020.
V. SOURCES DE FINANCEMENT
Plusieurs sources de financement devraient être explorées pour apporter une réponse globale à la situation socio-économique et sanitaire de la République Démocratique du Congo. Il s’agit entre autres de :
* l’augmentation et ouverture du capital de chaque entreprise publique ;
* la cession des actifs immobilisés des entreprises publiques démembrées ou redimensionnées ;
* la cession des actifs du domaine public de l’Etat ;
* la cession des actifs pétroliers ;
* la cession ou mise en hypothèque des actifs géologiques et miniers (cuivre, cobalt et lithium) sur le marché financier pour lever des fonds
* la réalisation des créances de l’Etat congolais sur les Etats voisins ;
* le recours au crédit sino-congolais ;
* le recours à l’aide bilatérale et multilatérale ;
* l’emprunt sur le marché financier extérieur.
Vl. Conclusion
Je suis d’accord avec toutes les mesures préconisées par les autorités sanitaires à l’échelle internationale et nationale:
– observer les conditions d’hygiène (laver régulièrement les mains), éviter de se serrer les mains, éviter les attroupements, garder les distances entre les personnes et respecter le confinement.
Cependant, celles annoncées par le pouvoir de facto de notre pays, la RDC, paraissent insuffisantes et dépourvues de ressources financières et logistiques nécessaires à leur matérialisation.
Les coupes sur le budget de l’Etat, déjà faible (5,5milliards de dollars pour la RDC contre 50 milliards pour l’Angola), ne pourront pas donner des économies suffisantes (plus au moins 500 millions de dollars) pour faire face à la crise de Coronavirus.
Les besoins prioritaires qu’imposent aussi bien la riposte à la pandémie (500 millions de dollars US) que la nécessité de soutenir les entreprises congolaises (1.250 millions dollars US) qui vont entrer en récession et surtout couvrir le déficit du trésor public (3000 millions de dollars US) d’un Etat en faillite, ne sont pas à la portée de nos ressources internes.
Ni la réduction du train de vie de l’Etat (économie liée à la réduction de la taille du gouvernement : 5 millions dollars US par mois) ni le non-paiement de la dette publique extérieure (20 millions de dollars US par mois), ne permettra au gouvernement :
– de faire face au défi de la crise de COVID-19 ;
– de sortir de sa situation de cessation des paiements ;
– de soutenir les entreprises en récession ;
– de couvrir le déficit du pays en infrastructures de base, en long terme.
Seule une démarche ambitieuse et de relance peut sortir l’Etat congolais de son gouffre financier actuel.
Le plan et les réformes qui doivent l’accompagner (dont les réformes institutionnelles, gage de légitimité et de transparence) auront besoin d’un consensus national entre la minorité FCC-CACH au pouvoir et la majorité populaire incarnée par LAMUKA.
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