Les travaux de la 9ème session de la Conférence des Gouverneurs de Province (CGP) de la République Démocratique du Congo (RDC) ont eu lieu, du 22 au 23 décembre 2022, à Mbandaka dans la Province de l’Equateur, sous le thème « Le Programme de développement local des 145 Territoires : renforcer l’autorité de l’État pour relancer l’économie des provinces ».
Pour rappel, la CGP a été instituée par la Constitution du 18 février 2006 comme une instance de concertation et d’harmonisation entre le pouvoir exécutif national et les Gouverneurs de province et « (…) a pour mission d’émettre des avis et de formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République ». La CGP est composée du Président de la République (qui en est de droit Président), du Premier ministre (Vice-président), du ministre de l’intérieur (Rapporteur) et des Gouverneurs de Province (1er Rapporteur adjoint : Gouverneur de la province hôte et 2ème Rapporteur adjoint : Gouverneur de la province hôte de la prochaine conférence). Les autres membres du Gouvernement tout comme toute autre autorité publique peuvent y être invités. La CGP doit se réunir « au moins deux fois par an » et se tenir « à tour de rôle dans chaque province » (article 200). Les modalités d’organisation et de fonctionnement de cette Conférence sont prévues par la Loi organique n° 08/015 du 07 octobre 2008.
I. problèmes relevés lors des travaux de la 9ème session de la CGP
Sous réserve des précisions du rapport final de cette Conférence, il ressort des allocutions des Gouverneurs et du Président de la République la mise en exergue des problèmes qui gangrènent la gouvernance au niveau provincial. D’une part, les Gouverneurs de province ont reproché au Gouvernement central le non-paiement de la rétrocession aux provinces, des arriérés des salaires des gouverneurs de province, le versement sporadique des frais de fonctionnement aux provinces[1], l’absence d’investissement dans les provinces et le non transfert de certaines compétences aux provinces. Ils ont également dénoncé le détournement du pouvoir constitutionnel de contrôle de l’action gouvernementale par les Assemblées provinciales pour des fins mercantilistes[2].
D’autre part, tout en saluant la stabilité institutionnelle constatée dans la majorité de provinces où les démons des motions de défiance ou de censure ont été provisoirement conjurés, le Président de la République a, tout de même, reproché aux provinces la mauvaise gestion des ressources mises à leur disposition et la faible mobilisation des recettes propres. Il a indiqué que l’une de ses plus grandes attentes des Gouverneurs de provinces est de les voir jouer le rôle « d’officier de police administrative » dans la mise en œuvre du programme de développement de 145 territoires (PDL 145T)
Le déroulé de cette 9ème session de la CGP donne l’impression que l’organisation de la CGP n’est faite que pour se conformer aux dispositions de l’article 200 de la Constitution. L’atteinte des objectifs pour lesquels cette institution est créé par le constituant du 18 février 2006 ne semble pas préoccupée les membres qui la constituent. Il s’agit d’une conformité constitutionnelle formelle qui ne tient compte que du respect de certaines formalités comme la convocation de la CGP, le déplacement des autorités compétentes et leurs invitées ainsi que l’organisation des travaux sans que ceux-ci ne débouchent réellement sur des solutions aux problèmes qui entravent le développement de la RDC. D’ailleurs, le mémorandum des Gouverneurs de provinces en fait état en indiquant que les problèmes fondamentaux demeurent irrésolus.
Dans ce contexte, il est illusoire d’attendre des Gouverneurs de provinces des miracles, surtout aussi que la gouvernance de leurs provinces respectives rime avec les implications politiques au niveau central. Sauf quelques exceptions remarquables qui sont à encourager, plusieurs provinces n’ont pas, sept ans après leur installation effective, donné les signaux de l’impulsion du développement à la base comme le veut le constituant du 18 février 2006[4]. Ceci notamment à cause des problèmes qui ont été relevés dans leur mémorandum, à savoir :
*Chercheur aux Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique (CREEDA) et Centre de Recherche en Sciences Humaines (CRESH).
** Chercheur et Secrétaire Exécutif du Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique (CREEDA)
*** Chercheur au Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique (CREEDA) et Assistant à l’Institut Supérieur Pédagogique de Mweka (ISP/Mweka).
[1] « RDC: Félix Tshisekedi lance à Mbandaka la 9e conférence des gouverneurs, (Consulté, le 09 janvier 2023).
« 9eme conférence des gouverneurs: le président Tshisekedi se félicite de la stabilité des institutions provinciales et fait la promotion du “pdl 145 T” », (Consulté, le 09 janvier 2023).
« 9eme conférence des gouverneurs: le président Tshisekedi se félicite de la stabilité des institutions provinciales et fait la promotion du “pdl 145 T” », op.cit.
Gérard Gerold, « RD Congo : l’échec des pouvoirs provinciaux, une nouvelle étape dans la déconstruction de la troisième République », Les Cahiers d’Afrique de l’Est, 48/2014, pp. 67-86 ; lire également l’exposé des motifs de la Constitution de la République Démocratique du Congo telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo, JORDC, 52e année, Numéro spécial, Kinshasa, 5 février 2011.
- Le maintien de la rétrocession en lieu et place de l’application de la retenue à la source des recettes ;
- Le versement sporadique des frais de fonctionnement ;
- Le non-transfert de certaines compétences aux provinces ;
- Le détournement du pouvoir constitutionnel du contrôle de l’action gouvernementale par les Assemblées provinciales ;
- La mauvaise gestion par les provinces des ressources mises à leur disposition ;
- Le déficit de mobilisation des recettes propres, et
- Le nouveau statut « d’officier de police administrative » des Gouverneurs de province dans le programme « PDL-145T ».
Le maintien de la pratique de rétrocéder des recettes aux provinces, seize ans après la promulgation de la Constitution, devrait être abandonnée en vue de l’application du principe de la retenue à la source des 40% des recettes à caractère national au profit des provinces et ce, conformément à l’alinéa 2 de l’article 175 de cette Constitution. Les performances inédites réalisées par le Gouvernement en quadruplant le chiffre du budget national annuel ont créé des conditions favorables à l’application de la retenue à la source. La rétrocession ne concernerait que les recettes issues de la Caisse nationale de Péréquation (CNP).
Il en est de même du versement des frais de fonctionnement aux provinces stigmatisé par les Gouverneurs de provinces du fait que la pratique conditionne le fonctionnement optimal des Gouvernements provinciaux, appelés à dépendre des fonds provenant du Gouvernement central. Cette dépendance énerve le principe de l’autonomie financière de provinces. Ayant légalement des ressources propres, les provinces doivent les mobiliser pour financer leur fonctionnement. C’est à juste titre que le Président de la République a dénoncé la faible mobilisation par les provinces de leurs ressources internes. Les Gouvernements provinciaux doivent être à mesure de mobiliser les ressources provenant des impôts et des taxes relevant de leur compétence. Ils sont aussi appelés à réduire leur train de vie.
Concernant le détournement du pouvoir constitutionnel du contrôle de l’action gouvernementale par les Assemblées provinciales, il y a lieu de noter que bien que le Président de la République se satisfasse de la stabilité dans la majorité des provinces, la cause à la base des crises politiques provinciales doit être connues et prise définitivement en charge. Entre autres problèmes, il faut cesser avec les interférences politiques provenant du pouvoir central et des partis au pouvoir ainsi que la prise en charge des députés provinciaux. La question qui se pose, quant au nouveau statut « d’officier de police administrative » des Gouverneurs de province dans le programme « PDL-145T », est celle de la portée de son contenu. Autrement dit, quel sera leur rôle dans ce méga projet qui suscite à la fois des espoirs pour le développement à la base et des doutes au regard des détournements des fonds qui entourent la mise en exécution des grands projets en RDC.
Comme on peut le constater, si toutes ces questions ne sont pas résolues, il est illusoire d’espérer un quelconque renforcement de l’autorité de l’Etat dans un contexte où les entités politiques de base (provinces et ETD) ne fonctionnent pas comme il se devait, leurs animateurs se dédouanant continuellement de leurs incompétences en invoquant le soutien ou les insuffisances du pouvoir central.
II. Quelques griefs à l’organisation de la 9e session CGP en 2022
L’on peut reprocher à l’organisation de la CGP des problèmes de constitutionnalité suivants :
- Participation de certains membres n’ayant plus qualité : l’alinéa 3 de l’article 200 dispose que la CGP est composée, outre les Gouverneurs de province, du Président de la République, du Premier Ministre et du Ministre de l’Intérieur. Si la participation des autorités politiques centrales à la CGP ne pose pas de problème, il n’en est pas le cas pour celle de certains Gouverneurs de province. . La condition pour être membre de la CGP concernant les Gouverneurs, c’est d’être en fonction. Dans le cas de la 9ème session de cette Conférence, une irrégularité est à relever. Elle concerne le Gouverneur de la Province du Sud-Kivu qui, malgré sa déchéance par l’Assemblée provinciale, s’accroche au pouvoir en violation de la Constitution et des lois de la République. il y a également lieu de dénoncer la participation des Gouverneurs de province dont l’intérim est prolongé au-delà du délai légal de 30 jours endéans duquel la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) est appelée à organiser un nouveau scrutin. C’est le cas de la participation à cette 9e session de la CGP des gouverneurs intérimaires des provinces du Lualaba (dont l’intérim remonte à 2021) et du Maniema (Gouverneur intérimaire depuis 2020). La présence de ces trois personnalités a vicié la composition de la 9ème édition de la CGP.
- Insuffisance de nombre d’éditions de CGP organisées : l’alinéa 5 de l’article précité dispose que la CGP se réunit au moins deux fois par an. Le Gouvernement n’a pas respecté cette obligation. La CGP ne s’est réuni qu’une seule fois. Les raisons de cette incapacité du Gouvernement à organiser plus de deux CGP peuvent paraître compréhensibles mais ne sauraient en aucun cas justifier la violation de la Constitution. Pour contourner les difficultés avancées, nous avions proposé dans une publication[1] l’organisation des sessions des CGP virtuelles ou par visioconférence qui ne requière pas beaucoup de moyens financiers et logistique.
- Détournement de la mission de la CGP à des fins électoralistes : depuis l’ancien régime, il s’est développé une tendance consistant à transformer la CGP en une institution supplétive du Gouvernement central, au pire à celle à la solde du Président de la République. En effet, en lieu et place des discussions franches sur la politique nationale et la législation à édicter notamment en ce qui concerne l’harmonisation des compétences aux niveaux central et provincial, les Gouverneurs de provinces se sont octroyés une nouvelle mission celle de produire de motion de soutien au Président de la République. Cette attitude à politiser les institutions qui n’en ont pas la vocation est une violation de la Constitution. La CGP ne peut pas devenir un lieu de campagne électorale ni celui de conception de plateforme électorale.
Recommandations
Ainsi, pour sortir de la conformité constitutionnelle formelle vers la conformité constitutionnelle substantielle, les autorités compétentes sont appelées à :
- Respecter la fréquence de tenue des sessions des CGP, soit au moins deux sessions par an (article 200 de la Constitution) ;
- Veiller à la qualité des participants à la CGP ;
- Respecter la finalité de la CGP, celle d’émettre des avis et de formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République ainsi que d’être une instance de concertation et d’harmonisation entre le pouvoir exécutif national et les Gouverneurs de province, et
- s’écarter de toute tentative de politisation par la production de motion de soutien au Président de la République.
[1] Joseph Cihunda Hengelela, Jean-Jacques Kahunga Mapela et Clément Shamashanga Minga, « La Conférence des Gouverneurs de province en RDC. Perspectives pour le renforcement d’un cadre d’harmonisation des rapports entre le pouvoir central et les provinces », Kinshasa, CREEDA, 2020, disponible sur https://www.creeda-rdc.org/projects/creeda/resources/documents/la-conference-des-gouverneurs-de-province-en-rdc./acturdc.com